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La pensée unique pro-palestinienne

par Kamel Daoud

Qu'est-ce la pensée unique pro-palestinienne ? En gros, c'est «si vous ne pensez pas la Palestine comme nous, vous êtes contre nous». En général, cela se traduit soit par des insultes, soit par l'explication «vous voulez plaire à l'Occident», soit par le «vous n'avez rien compris», soit par un appel à soutenir la Palestine mais dans les airs.

Lien entre soi-même, son pays, les siens et la Palestine est donc dit indéfectible et ne peut pas être soumis à l'analyse ou à l'interrogation. C'est un tabou qu'une génération refile à la suivante. Ce lien est «obligatoirement» religieux, identitaire et toujours émotionnel. On reproche souvent aux élites européennes de faire corps avec Israël, par passion au lieu que par raison, et pourtant c'est ce qui nous est demandé: réfléchir par émotion, par passion, sans se sentir dans l'infraction à la raison.

La pensée unique pro-palestinienne a cette étrange manie de reproduire ce qu'elle reproche à ses adversaires: émotion, lobby passionnel, irrationalité et solidarité sélective. On reproche aux USA par exemple de soutenir Israël et d'ignorer le reste des misères de l'humanité. Et pourtant la pensée unique pro-palestinienne en fait de même: le Tibet n'est pas la Palestine parce que le Tibet n'est pas habité par des musulmans ou des Arabes. Donc on ne le soutient pas, on n'en parle pas et on ne sait même pas si cela existe. Reflexe raciste, ethnique et déshumanisant que l'on reproche à l'Occident justement, à propos des Palestiniens.

Cette pensée est aussi bâtie sur l'émotion: avec la Palestine, dans son droit ou dans son tort, avait décidé Boumediene. Du coup, c'est la fatwa pour l'émotion comme vision du conflit. Cela a conduit à ce parti unique pro-palestinien qui vous interdit de poser des questions, de réfléchir un échec immense, de penser un lien entravant et d'interroger un soutien dit naturel mais qui pour le moment sert à alimenter la machine à gémissements et à anathèmes.

Il en devient interdit de penser cette pensée et de se demander «pourquoi je dois soutenir la Palestine, elle uniquement ?». «Comment le faire et est-ce que c'est bien pour moi et les miens ou est-ce que c'est la bonne formule ?». Cinquante ans de cette pensée unique ont conduit à un auto-aveuglement sur soi et les siens. Une cécité sur les évidences par exemple : soutenir la Palestine comme l'Amérique soutien Israël ? Par quoi ? Une Arabie fantasmatique ? Oui, mais là il faut assumer : si l'Amérique est forte ainsi que Israël, c'est parce qu'il y a des règles à la réussite et à la force : accepter que la femme soit l'égale de l'homme, libérer la créativité et l'individu, accepter la démocratie, limiter le religieux au choix de l'âme de chacun, accepter la langue de son pays et de sa mère comme langue nationale, endosser son humanité avant son islamité et adorer la liberté pour les siens, un par un. Sans cela, on en sera encore à accrocher des poèmes à des roquettes et à multiplier les anathèmes, les insultes et les conseils sur ce qu'il faut dire et ne jamais dire sur la Palestine. Possible ? Non. Les peuples dits «arabes» et qui aujourd'hui crient à l'injustice sont les auteurs de leur impuissance : on reproche à la Ligue arabe ce que chaque «Arabe» (avec guillemets) reproduit chez lui, dans sa famille, envers les siens. De quoi rire donc de cette pensée.

La Palestine est tuée, assassinée et volée ? Oui, on le sait et on le voit et ce n'est pas le sujet de cette chronique. La question est «pourquoi ?». L'évidence est que cette pensée unique pro-palestinienne, mais dans la réaliste simple esthétique de bonne conscience ou d'engagements sélectifs, n'a servi à rien. Ni à moi, ni à la Palestine ni au pays où je vis. C'est juste une pensée unique, une fatwa, un confort et un jeu de tabous.

Une époque est morte et il s'agit de ne pas mourir avec elle. Il s'agit de penser autrement et de mettre fin à ces approches par l'émotion et la pleurnicherie. Il s'agit de se réveiller à son humanité et non pas écrire et croire que c'est un luxe et un complot international. Cette pensée tue le Palestinien, chez lui, en soi mais tue aussi les siens et l'intelligence.