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Les mémoires des mémoires de Chadli & Cie

par Kamel Daoud

Mort peut-on enfin parler sans se faire interrompre ni se faire menacer ? Pas si sûr : les mémoires de Chadli, volume 1, sont annoncées pour la fin octobre. Mais déjà on annonce qu'il n'y aurait pas révolution, révélation, inculpation et précisions selon l'éditeur. Comme pour enrober l'infraction au silence par une promesse de ne rien dire. Etrange technique de promotion d'un produit commercial qui consiste à médire de son propre produit, mais bonne technique politique pour éviter la punition. Donc les mémoires de Chadli seront une sorte d'hymne vague, raconté au pied d'un bon coin de feu, sans noms ni indications ni dates. Une sorte de souvenir des souvenirs qui se souviennent un peu. C'est ce qui explique la question : peut-on écrire des mémoires en Algérie quand on a été au Pouvoir ? Difficile, même quand on meurt. Car quand on meurt, on laisse derrière soi les siens et ceux qui peuvent leur faire mal.

Premier acte d'un devoir de mémoire qui aurait dû être assumé par tous, les écrits de Chadli sont donc attendus comme la fin d'un tabou, la dette d'un homme envers le peuple et le pays, comme un éclairage sur notre destin collectif. Cet acte est important car il est inédit dans le pays où l'on meurt pour ne rien dire de plus que sa propre mort. Le livre repose la question de sa possibilité et de son obligation, pour les autres qui sont encore vivants. Si Chadli dit tout, cela peut servir les vivants et les gens morts sans explication. S'il dit que des choses banales, l'histoire algérienne continuera à être banale et illisible et Bouteflika aura la réponse à sa question au dernier salon des livres à Alger " est-ce que les jeunes lisent ? ". Et si Chadli dit des vérités cela va pousser d'autres à répondre. Par des livres, on l'espère, et pas par des expulsions, des mises en demeure, des traitements de salaires interrompus et des harcèlements. Sauf que Chadli n'a rien dit. Selon lui et selon son éditeur. Les gens comme lui auront une raison de ne pas écrire puisque écrire n'est pas dire et lire n'est pas savoir.

Sauf que comme l'histoire nationale, il y a déjà des versions du livre qui circulent. Pas des versions piratées, mais des versions alternatives. Mohammed Benchicou vient de livrer un extrait des vraies mémoires de Chadli selon lui. L'Editeur d'Alger en a une autre. Certains proches de Chadli ont des chapitres personnels. Et comme toujours dans ce pays qui aime l'occulte, ce sont les versions apocryphes qui sont les plus intéressantes, qui ont des noms et des faits et des dates. C'est dire que l'histoire algérienne continue d'être clandestine, même quand elle écrite, éditée et publiée. Maintenant ? On veut les mémoires des mémoires. Le livre des livres. Dernières question : Bouteflika écrira-t-il ses mémoires lui aussi ? Oui peut-être sauf qu'il aura tendance à commencer sûrement par le tome II. Après 99.