Le peuple est-il victime du pouvoir ou de lui-même ? Les
deux réponses sont valables : le pouvoir a réussi à faire de ce peuple un vrai
indigène, illettré, vaniteux, moyenâgeux, superstitieux, violent et mal
habillé. Tout ce que le colon voyait dans « l'Arabe » qu'il a fini par tuer sur
une plage algéroise, l'arme à la main de Meursault le héros d'Albert Camus.
Comment fait le pouvoir? En faisant remonter le temps aux algériens : on est
passé ainsi des élites héritées des années 70 aux Zaouïas des années 40, aux
lecteurs de journaux des années 20. Puis, plus loin vers les tribus soumises au
Dey d'Alger?etc. Par qui ? Par un système d'Education destinée à l'abêtissement
généralisé. « On croit que le pouvoir a échoué dans l'Education alors que c'est
faux : il a réussi car le but était d'analphabêtiser le peuple et les
générations » expliquera un collègue au chroniqueur. C'est ce qui explique la
permanence du ministère inexplicable de Benbouzid. Du coup, si on ajoute à
cette déculturation le FLN, l'UGTA, l'interdiction de marcher ou de participer
à son propre pays, la décennie 90, la tuerie des élites, cela vous donne ce
peuple qui est victime absolu d'un pouvoir absolu.
Sauf que dans le jeu de soumission, le peuple est aussi
coupable : le pouvoir tel qu'il est pratiqué n'est pas une entité étrangère
comme depuis des millénaires, mais une émanation locale. Le seul produit «made
in algeria» que l'on peut voir chaque jour se renouveler et rechercher la
performance. Un axiome du dictionnaire du parfait fataliste explique : «on n'a
que le gouvernement que l'on mérite». C'est le peuple qui veut ne rien vouloir,
qui ne dit rien et se laisse faire par démission collective, addition de toutes
les démissions individuelles. Et c'est à partir de là que se précise une
solution à ce désir de fuir, de s'éloigner, de partir et de mettre le maximum
de distance entre soi et la nationalité. La quelle ? Celle de se regarder
soi-même comme étant la totalité du peuple, l'unique habitant de l'île, le seul
responsable et agir sur soi : se laver les mains avant le repas, ne pas griller
le feu rouge, ne pas se soumettre entièrement dans la mesure du possible, ne
pas croire être l'avocat attitré de l'Islam, ne pas être intolérant, ne pas
mentir à soi-même, ne pas être lâche, voleur, corrompu et faible?etc. Enfin
tout le catalogue des bonnes manières célestes. Et les autres ? Et le reste du
peuple qui ne veut pas changer ? C'est justement le piège. La solution est de
se débrouiller dans la vie comme on le fait dans la mort et lors de la
naissance : sauver d'abord le sens de sa vie. Etrangement, cela est contagieux :
par cet absolu égoïsme de l'homme qui veut un monde meilleur pour lui, on
débouche tôt ou tard, dans la générosité insoupçonnée d'un monde meilleur pour
tous ou, du moins, moins pénible à porter sur le dos. Du coup, on surmonte
cette haine de soi que l'on nous a inculquée comme culture, langue officielle,
dénis de soi et de sa propre histoire. Confus ou compliqué ? Oui car c'est à
contre sens et parfaitement nouveau. C'est un dur métier que de faire la paix
pour un peuple qui ne fait que les guerres. C'est aussi à contre sens l'école
actuelle, de la colonisation par l'arabisation, de la FLNisation par
l'abêtissement et de la vanité par l'hymen national. On fera un jour tout le
tour de la terre pour comprendre que l'on n'échappe pas à son ombre sous le
soleil de l'évidence.