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Les premières émissions de télés qui n'existent pas encore

par Kamel Daoud

« Ouvrir le champ de l'audiovisuel, c'est bien, mais avec quoi et avec qui ?», a résumé un peu un ami hier. L'annonce de la levée du monopole avait provoqué une sorte de rush informel des candidats qui peut être interprété comme une bonne santé du pluralisme. Sauf que ce pluralisme de l'image et du son risque d'être réduit à la formule du pluralisme à l'algérienne : 52 partis, en 90, pour créer le reflux et émietter les électeurs, puis deux familles de partis : les «partis uniques» et les partis en résidence surveillée.

Qu'en sera-t-il pour les télés promises pour le surlendemain ? On a annoncé déjà deux formules : celle des grosses fortunes déjà agréées par le politiquement correct et qu'on peut contrôler par les anciennes méthodes et s'assurer un peu de leur discipline par équation d'intérêt commun ; et la formule des «alliés» du pouvoir, genre les journaux dit «privés» mais fabriqués de toutes pièces pour faire face aux journaux indépendants. C'est la crainte de l'ami en question : voir émerger un champ de l'audiovisuel algérien qui serait un remake de l'actuelle situation de la presse algérienne ou du multipartisme algérien. On aura ajouté à la fausse démocratisation seulement le son et l'image, alors qu'elle était réduite à l'écrit auparavant.

La question est donc : cela sert à quoi d'avoir les mêmes arnaques, les mêmes tendances idéologiques en préfabriqué et le même champ éditorial entre démocrates réduits à la «kabylité», francophones isolés, conservateurs vendeurs de fatwas et de faits divers et de religieux bas de gamme et de «nationalistes» larbins de la rente ? Que gagne l'Algérie quand elle passe du FLN, parti unique, à l'Alliance présidentielle, partis uniques ?

L'autre réticence reste celle de la ressource humaine. L'Algérie se dirige au pas de course, avec l'actuel système scolaire, vers une formule unique au monde : tout est importé, sauf le peuple et le régime. Du coup, c'est la question de la ressource humaine compétente qui se pose pour les journaux, les banques, les administrations, les entreprises, qui va se poser pour ces futures télés privées. Là, il ne s'agit de concurrence interne mais d'une concurrence entre ces futurs networks et les grands empires de l'image internationaux. Là, on ne peut pas y faire face avec des arnaques ni des ruses. Le sinistre laissé par l'ENTV est immense et difficile à surmonter : pas de chaînes de production, pas de boîtes privées performantes ou presque, pas de tradition de savoir-faire réel et une immense hémorragie de cadres déjà écartés, découragés ou démissionnés.

Le politique et sa police ont aussi une longue tradition de «propriétaires» exclusifs de l'image et ils ne vont pas lâcher le morceau facilement, même si la décision vient du Palais du Dey. Donc revenir à l'ENTV unique ? Non. Il s'agit de ne pas refaire les mêmes erreurs que les années 90 et de garder à l'esprit que l'annonce faite par le Pouvoir est aussi une recette pour hypnotiser une classe politique ou d'élite sur un «os», car rien n'a encore été dit sur les clauses et les cahiers des charges et les délais de cette «ouverture».