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Comment devenir père et grand-père en une seule journée

par Kamel Daoud

Jusqu'à une récente date, on avait au moins un problème de moins par rapport aux dictateurs arabes: pas de fils à faire élire après la mort. Juste un frère qui a été refroidi et un «patron» qui semble chercher une solution au temps qui passe. C'était jusqu'à une récente date. Jusqu'à ce que les deux fils de Kadhafi soient accueillis chez nous, sans nous. Là, le regard du monde s'est tourné vers l'Algérie pour conclure que c'est un pays qui cherche des problèmes là où il n'en a pas. Là où les révolutions arabes chassent les pères du peuple et les fils héritiers; chez nous, on les héberge.

 La raison ? Beaucoup ou très peu. Les uns disent parce que la fille de Kadhafi était enceinte. C'est vrai. Mais Hannibal ne l'était pas. D'autres disent que c'est à cause des souvenirs : Kadhafi est de la même génération que Bouteflika et lui rappelle sa jeunesse. Ils sont de la génération de l'anti-impérialisme, de la décolonisation, de l'agitation non-alignée et des putschs correctifs. D'autres disent encore que c'est par réflexe : la Libye donne des cauchemars à la génération au Pouvoir en Algérie à cause de deux traumatismes, selon Benjamin Stora : le retour de la France au Maghreb, le retour des islamistes au Pouvoir. De quoi faire paraître les fils de Kadhafi comme des victimes et pas comme des bourreaux. Les derniers ? Ils disent que c'est une ruse de monnaie d'échange. L'Algérie a besoin d'avoir quoi négocier. «Qaïdidser», sans cesse, la révolution libyenne ne suffit pas comme argument pour dissuader le peuple local de se soulever et de s'allier les étrangers. Il faut plus dans la poche : des «otages». D'autres disent que c'est un réflexe de cousinage, un «regroupement familial», car le Pouvoir voit dans le drame des Kadhafi le sien propre et se sent solidaire des familles des dictateurs. Rares dans le groupe sont ceux qui croient que c'est purement humanitaire : le pouvoir algérien fait trop de politique pour faire des fleurs et des bonbons.

 Et nous ? Personne ne s'en soucie. La gouvernance n'a même pas pris la peine de s'expliquer de sa décision avec nous ou notre classe politique. Elle l'a fait en France, sur les plateaux de médias Français, pour les oreilles de l'Occident et pas les nôtres. Dans l'ensemble et dans cette affaire, on est mal parti et on n'arrivera nulle part. On a donc un nouveau Maroc à l'est, avec un Sahara oriental en plus. On est enfermé, comme notre présidence.

 L'accueil d'Hannibal a profondément heurté les Algériens. Ils s'en sentent insultés ou troublés ou agacés par le tapage. Les Algériens ont désormais peur. Du mauvais calcul de leur régime, du retour de la France juste à côté, de perdre un temps précieux pour avoir une vie longue alors que les pays deviennent brefs, d'être mal vus encore plus après la décennie 90. Il y a aussi une certitude que l'hannibalisation du régime est déjà très poussée et qu'un fils de dictateur, violent et délinquant, en plus en Algérie, n'est qu'un détail. Le régime qui n'avait pas de fils est devenu, en une seule journée, grand-père.