Du
point de vue d'un satellite neurasthénique qui regarde la terre nationale
depuis son espace, c'est une situation de paradoxe : voici un pays, le nôtre,
qui importe presque tout, sauf lui-même et qui ne sait fabriquer ni des routes
comme les fourmis ou les Chinois, ni des allumettes et qui met un argent fou à
former des étudiants en lettres, en sciences islamiques, en histoire et autres
desserts de l'idéologie dominante. C'est ce qui ressort de plus en plus, année
après année, des statistiques des grandes tendances du Bac et des formations
universitaires où il y a plus d'étudiants en lettres «arabes» et de moins en
moins dans les instituts des sciences exactes. Le pays possède de plus en plus
(des milliers de mille) de sociologues, psychologues, littéraires, imams
informels, et seulement une dizaine de bons plombiers, de bons réparateurs
d'ascenseurs et à peine vingt maçons capables de faire ce que fait un
demi-Marocain plâtrier. Le pire, c'est qu'on continue, selon la logique du vrac
et du chiffre, à se gausser des pourcentages de réussite dans le bac, de places
pédagogiques, de diplômés en fin de cursus et universitaires toutes gammes
confondues. Du coup, on comprend, dans la brusquerie de la révélation encore
confuse, que ce n'est pas un problème politique, de formation ou de réforme,
mais un énigmatique disfonctionnement de la biologie nationale: là où un
organisme forme ce dont il n'a pas besoin et évite de former ce qui peut
assurer sa survie, on ne peut faire qu'un seul constat : c'est une volonté
molle de se suicider, mollement. Pas d'autres explications possibles. C'est
comme de voir, à partir de la stratosphère, un Allemand perdu dans le désert,
sans eau ni parents proches, continuer à fabriquer des Mercedes ou recopier des
formulaires d'accès à des saunas. Même vu de loin, on comprendra vite que cet
homme est fou, qu'il n'est pas Allemand et qu'on ne peut pas construire une
Mercedes avec un manuel de grammaire arabe écrit à la main à El Bassora, il y a
neuf siècles.
Et pourtant c'est notre cas. Si, dans un pays
qui ne sait pas fabriquer des ponts, on continue de produire des historiens et
des techniciens en sciences islamiques, (quel concept bizarre : une science qui
a une religion ??), c'est qu'au fond, on ne veut pas vivre ou, plus pernicieux
encore, on ne se soucie pas de vivre. C'est valable comme première conclusion,
mais c'est encore une autre question qui revient : est-ce possible de vouloir
mourir si on n'est pas Japonais et si on n'est pas déjà mort ? Impossible.
Donc, ce corps national algérien possède un secret, une ruse de survie, un
moyen alternatif à l'emprise manuelle sur le cosmos. Réponse : la rente. Si un
animal s'arrête de chasser pour manger tout en offrant le spectacle d'une
insolente survie, c'est qu'il mange d'une autre manière. La nôtre, c'est le
pétrole et la main-d'œuvre importée. C'est ce qui nous permet de nous offrir ce
luxe surréaliste de former selon des formations dont personne n'a besoin, ni en
cuisine ni pour survivre, ni pour trouver de l'eau. C'est l'explication : notre
instinct de survie est vicié par un accès trop facile à la nourriture. Nous
avons été un échec du socialisme, nous sommes un échec du darwinisme et une
panne du libéralisme. Qui sommes-nous ? Un bug alimentaire dans la chaîne des
dévorations essentielles à l'évolution du cosmos et sa motricité. Nous ne
faisons pas partie de la logique de la chaîne alimentaire. Pour nous, il s'agit
d'un tuyau miraculeux qui nous permet d'envoyer et de former des historiens
pour aller sur la lune.