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Mehenni ou le Clown rétroactif

par Kamel Daoud

F aut-il parler de Ferhat Mehenni ? Ajouter une contrebasse à un tintamarre (pour une fois Ouyahia a trouvé la bonne rime) ? Peut-être que non. L'annonce d'un gouvernement provisoire maqué par la France, comme décidé par ce chanteur, est d'un ridicule qui tue celui qui s'y attarde. On a la tentation d'y répondre par l'humour: on a déjà un gouvernement provisoire avant chaque remaniement ministériel chez nous, pourquoi y ajouter un autre provisoire hand made ? On s'imagine même une autre réponse: un gouvernement provisoire pour les Kabyles ? Oui. Avec un gouvernement provisoire pour Berriane, un autre pour M'cirda, un autre pour le M'zab, un autre pour le Sud, un autre pour les Chaouis. Avec deux ou trois aboutissements possibles: réduire ce pays à des lots de terrain avec des drapeaux personnalisés ou le vendre par morceaux ou se faire la guerre pour des annexions de daïras stratégiques. On peut aussi répondre à Mehenni qu'il n'a pas besoin de faire de ce pays ce qu'il a déjà fait avec la Kabylie: provoquer des grèves d'écoliers puis s'enfuir en France pour y scolariser ses propres enfants. On peut aussi lui dire qu'il vient d'assassiner Amirouche une troisième fois (une suite au livre de Sadi). On peut. On peut. L'idée d'un gouvernement kabyle est donc d'un ridicule assassin: partager cette terre en morceaux selon la race et la langue et l'ethnie ? Pourquoi pas quand on n'a que ça à manger et pour justifier un salaire.

 Le même boulot de boucher qu'exerce ce régime sur cette nation depuis des décennies au point où lorsqu'on parle de la Kabylie, on est assimilé à un dissident raciste et lorsqu'on parle de l'unité de cette terre, on est rangé dans la case de l'agent de service de ce régime. Cette myopie en préfabriqué a déjà ses sectes: en Kabylie certains ont déjà contracté cette maladie de traiter les autres Algériens «d'Arabes de l'intérieur» ; ailleurs, on se fait déjà héritiers des allergies régionalistes des aînés pas morts au combat de la libération. Dans les deux cas, une seule nationalité est assassinée alors qu'elle possède une langue, une terre et un peuple: l'algériannité. A la fin, il ne faut pas parler de Mehenni finalement. Il faut se sentir très loin, en altitude, de ces retours vers les tribus et les tracés d'oliviers ou de décomptes de chamelles. Le chroniqueur l'a déjà dit: il ne sent pas kabyle, ni arabe. Il ramasse son algériannité avec ses propres mains, chaque lever de matin et sans avoir à rendre de compte à aucune chanson. Il n'est le Maghrébin de personne, l'Arabe de personne, le Kabyle de personne. Mehenni est pour le chroniqueur un clown rétroactif qui ajoute son «numéro» au cirque de dépeçage de cette terre.

 Il ne faut pas écouter ce chanteur, ni ceux qui sont contre lui pour mieux s'approprier ce pays qui est à nous. Oui le pouvoir est centralisateur comme un mâle dominant, oui il faut démocratiser et régionaliser pour mieux vivre et gérer, oui la Kabylie a souffert de trop de martyrs longtemps après la fin de toutes les guerres, oui on veut élire ceux qui nous gouvernent, contrôler ceux qui nous surveillent, avoir la galon du civil au-dessus de celui du militaire, oui on n'en veut pas d'un pays qui ne soit ni une mosquée collective ni une kasma barbelée, oui ce sont nos élus qui doivent nous représenter et pas des chefs de daïras ni des walis désignés, oui c'est notre argent et notre sol, mais ce n'est pas à Mehenni de nous voler nos attentes pour en faire sa chanson. Amirouche ne s'est pas battu pour l'indépendance provisoire de la Kabylie et ceux qui y sont morts, le long de tout les printemps, ne revendiquaient pas une nationalité régionale mais une démocratie pour tous et un pays équitable pour tous les enfants. N'en déplaise à Mehenni et ses ministres joueurs de flûtes. On se bat déjà contre un gouvernement provisoire chez nous en Algérie, pour avoir besoin d'un autre fabriqué avec des derboukas gauloises.