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A la recherche du grand pétard absolu

par Kamel Daoud

Le but d'un pétard, c'est de faire le maximum de bruit. Le but d'un kamikaze, c'est de faire le maximum de victimes. Le point commun, c'est le bruit de l'explosion. Pourquoi les Algériens aiment les explosions ? Parce qu'ils aiment la violence. Pourquoi ils aiment la violence ? Parce qu'ils veulent changer le monde en miettes, le désarçonner comme un âne renversé sur son dos, tourné vers les étoiles qui ne l'ont jamais intéressé. Le raccourci est indécent mais quelque part il existe: il y a un lien entre tuer des passants et tuer le silence, pour tuer le temps. Pour un bon psy, neurasthénique à cause de sa nationalité et de l'impossibilité du concept d'Inconscient chez les Arabes, il y a à creuser entre cet usage unanime du pétard et la ceinture d'explosifs en usage depuis vingt ans.

Pourquoi les jeunes générations d'Algériens veulent-elles faire le maximum de bruit, tuer le maximum de morceaux de silence et déranger le maximum de passants ? Réponse poétique: le meurtre et le désir de tuer.

Cela doit faire rire les Chinois qui nous en vendent contre nos devises, mais chez nous, cela doit faire réfléchir. Comment en est-on arriver là, du conte de fées, version Djeha, à l'attentat sonore au nom d'un anniversaire religieux ? Pourquoi ce désir de faire le maximum de bruit ? Pour se faire entendre, explique la banalité. Peut-être que faute de partis, de TV moins staliniennes, entre TPS cryptée et gouvernants séniles mais tenaces, révolution impossible et changement bloqué, il ne reste que le pétard et la bombe. Et puisque la bombe tue son homme, il reste la sono.

On en jette dans les voitures, par-dessus les balcons, sous les semelles des gens et sur leurs têtes. Après, on grimace comme des singes hystériques, on s'amuse de la frayeur de l'Autre et on recommence. A la fin, en boucle, le pétard est une chaloupe qui fait du bruit, un attentat non meurtrier, un terrorisme contre le tympan et une expression du thanatos collectif, ce désir de mourir en creusant le cratère là où on ne creuse pas sa place. C'est une façon de reprendre le fameux refrain « nous sommes tous kamikazes », mais sous un mode d'expression variable.

Les pétards ont déjà des noms terribles et le Beyrouth chinois dure déjà depuis plus d'une semaine dans tout le pays.

Avec un cessez-le-feu prévisible dans quelques jours, des centaines de victimes, des lits d'hôpitaux et des dégâts matériels. Question de fond: qui était l'ennemi visé par cette guerre ? Le temps à tuer généralement, le vide à combler avec de la farine de clown, les passants, l'univers national qui ne vous écoute pas. « Tout bruit écouté longtemps devient une voix ». La citation est du Français Hugo. Est-ce tout ?

Non. Il doit y avoir plus: l'ennemi, ça doit être le silence, mais pas n'importe lequel. Cela fait deux décennies que nous sommes meublés par le bruit des explosions. Elles ont fini par devenir un amusement. Même avec deux passants tués, le kamikaze de Tadmaït a été un pétard. Même sans morts enregistrés, les pétards du Mouloud ont fait un gros attentat national.

Durant sept jours d'explosions, on a senti la concurrence féroce des artificiers: c'était à qui trouverait et achèterait le pétard absolu. Celui définitif, capable d'insonoriser le monde pendant des mois, de tuer le maximum de silences et d'éparpiller le maximum de passants.

Un pétard métaphysique et politique, définitif, unique, hilarant, fou comme une révolution de quelques secondes et capable de vous attirer l'admiration du reste du quartier, de la ville, de la région et de tout le reste du pays. Il existe. Quelqu'un doit l'avoir acheté sans le savoir. Quelqu'un le sait mais attend son heure. Nous sommes donc très malades.