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Le serpent à deux têtes

par Abdelkrim Zerzouri

Le sort de la Tunisie est-il suspendu à un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) ? Pratiquement toutes les puissances mondiales, notamment les Etats-Unis et l'Union européenne, laissent entendre que l'économie de la Tunisie serait condamnée à l'effondrement si elle n'obtient pas un accord avec le FMI. D'un autre côté, les autorités tunisiennes estiment qu'il s'agit d'une considération «disproportionnée», et des experts expliquent qu'il est peu probable que le FMI signe l'accord de prêt avec la Tunisie, les jours qui viennent, sauf si les conditions qu'il impose sont respectées.

Rappelons que la Tunisie a obtenu un accord de principe, en octobre 2022, pour l'octroi d'un prêt de 2 milliards de dollars, mais les négociations bloquent au niveau de la mise en œuvre des réformes en vue de réduire les déficits de la Tunisie, notamment «la levée graduelle des subventions généralisées et coûteuses des prix, en procédant à des ajustements réguliers pour aligner les prix nationaux aux prix mondiaux, tout en offrant une protection ciblée adéquate aux catégories vulnérables de la population (notamment par le biais de transferts sociaux)», selon les termes d'un communiqué du FMI. La Tunisie fait ainsi face à un serpent à deux têtes, appliquer les conditions cruelles du FMI pour obtenir ce prêt qui sauverait son économie de l'effondrement, selon des prévisions annoncées ces deux derniers jours par Blinken et Borell, voire d'un sort comparable au scénario libanais, selon d'autres avis, mais pas sans courir le risque de provoquer la colère sociale suite à l'imposition des mesures impopulaires du FMI, ou faire le choix de ne pas signer l'accord avec le FMI, et prendre le risque de ce que tout le monde prédit, un effondrement de l'économie tunisienne, qui n'épargnerait aucune couche sociale, avec des répercussion sur les pays du voisinage. Dans les deux cas, donc, la Tunisie ne se porterait pas mieux. Voilà pourquoi le président tunisien reste sceptique à propos de la signature de l'accord avec le FMI. Cela implique-t-il qu'il faut sauver la Tunisie des griffes du FMI et penser à des solutions alternatives, dont la redistribution des richesses et des ressources publiques, la réduction de la dette et les réformes fiscales qui favorisent le financement solidaire, comme le préconise l'ONG EuroMed Rights, qui s'oppose aux mesures d'austérité imposées par le FMI?

Ce même FMI considère, par ailleurs, que le Maroc est «bon candidat pour l'accord de ligne de crédit flexible», d'un montant global de 5 milliards de dollars, et approuve un prêt de 3 milliards de dollars à l'Egypte (qui bénéficie d'une ligne de crédit global de 12 milliards de dollars), ces tout derniers jours. Reste à savoir si l'Algérie peut rester insensible et assister, les bras croisés, à l'effondrement de l'économie tunisienne, si effondrement il y a ? Le Premier ministre Aïmen Benabderrahmane a exprimé, jeudi dernier, lors d'un entretien avec la cheffe du gouvernement tunisien, Mme Najla Bouden «l'entière solidarité de l'Algérie avec la Tunisie, pays frère, dans ses négociations avec le FMI». Si elle s'exprimait d'une même voix, la solidarité arabe pourrait éviter tout effondrement de l'économie tunisienne sans passer par un quelconque accord avec le FMI, du moins pas avec ces conditions aux conséquences désastreuses.