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La mémoire courte ?

par Abdelkrim Zerzouri

Le 19 mars, une date au cœur du conflit mémoriel franco-français ? Elle n'est certainement pas l'unique point de discorde, mais cette date étale au grand jour la non-concordance des visions à propos d'une histoire partagée sans être totalement assimilée en une seule pièce. En Algérie, c'est une «fête de la victoire» qui incite à cultiver cet esprit de vaillance du peuple algérien, de ses chouhada et ses moudjahidine, sorti vainqueur d'une guerre de plus de sept ans et s'est débarrassé du coup d'une colonisation qui a duré 132 ans. En France, la date fait polémique. Si on a reconnu tardivement la «guerre d'Algérie», à travers une loi adoptée le 10 juin 1999 par l'Assemblée nationale, reconnaissant officiellement la «guerre d'Algérie» en lieu et place des opérations de maintien de l'ordre, comme on qualifiait auparavant cette période, on n'est pas encore fixé sur une date à propos de sa célébration officielle.

Le 19 mars 1962, date marquant officiellement la fin de la «guerre d'Algérie», suite aux accords d'Evian, conclus entre les négociateurs algériens et français le 18 mars 1962, divise encore les Français. 61 ans après la proclamation officielle du cessez-le-feu en Algérie, certaines parties refusent en France d'admettre cette réalité. Pourtant, la loi du 6 décembre 2012 a institué le 19 mars journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la «guerre d'Algérie» et des combats en Tunisie et au Maroc, et que le 19 mars est le jour anniversaire du cessez-le-feu en Algérie. Une journée où des cérémonies commémoratives sont organisées dans toute la France, et qui permet de commémorer les accords d'Evian du 18 mars 1962, de rassembler et rendre hommage à toutes les victimes civiles ou militaires qui sont tombées durant la «guerre d'Algérie» et les combats au Maroc et en Tunisie, mais sans l'adhésion des premiers concernés par l'événement, en l'occurrence des associations de pieds-noirs d'Algérie, de harkis, et autres partis politiques, qui considèrent le 19 mars comme une date marquant pour eux le début d'une sombre période.

Comment arriverait-on à réconcilier les mémoires si, comme le prévenait le prix Nobel de littérature, pied-noir, Albert Camus, «De l'Algérie, on ne guérit jamais» ? La date du 19 mars révèle un fossé profond entre ceux qui prônent l'apaisement des mémoires, le chemin le mieux indiqué pour arriver à la réconciliation mémorielle, et ceux qui n'arrivent pas encore à se détacher du passé. «De l'Algérie, on peut guérir», à condition d'assumer entièrement le passé, de ne pas focaliser sur le 19 mars et les 100 jours qui suivirent cette date, tout en passant à l'oubli les horreurs d'une colonisation de 132 ans. La France ne doit-elle pas dans ce cadre régler ses propres problèmes mémoriaux avant de chercher toute réconciliation mémorielle avec l'Algérie, qui semble malgré le crime contre l'humanité du colonialisme, plus disposée à regarder vers l'avenir que certains pans de la société française, qui ont la mémoire courte pour continuer à regarder en arrière, strictement, vers ce 19 mars 1962 ?