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Ce que présage la «sortie» jupitérienne de Gaïd Salah

par Kharroubi Habib

Pour ceux qui s'accrochaient encore à la fiction que l'institution militaire s'en tient exclusivement à son engagement à ne pas interférer dans le processus politique à même de rendre possible la sortie de crise ardemment souhaitée par l'écrasante majorité du peuple algérien, l'allocution de mardi passé du vice-ministre de la Défense, chef d'état-major, le général de corps d'armée Gaïd Salah a fait l'effet d'une douche glaciale. Il a en effet assené franchement que le haut commandement de l'armée au nom duquel il parlait s'en tient à la feuille de route qu'il a fixée au processus politique et exige des acteurs de la crise qu'ils s'y conforment sans poser de préalables d'aucune sorte et surtout de renoncer à ceux qu'ils ont formulés et sont «inacceptables» pour lui.

En décrétant cet «oukaze», le chef de l'armée a brutalement levé l'équivoque qu'entretenait la fiction d'un pouvoir civil et constitutionnel incarné par Bensalah en charge de conduire le processus politique. Il a dissipé pour les plus «naïfs» qui ont fondé sur elle leurs positions conciliantes à l'égard de la feuille de route déclinée par le président intérimaire de la République en rejetant au nom de l'armée ce que celui-ci s'est déclaré disposé à consentir aux parties qui accepteront d'en cautionner la mise en œuvre. Il ne pouvait mieux leur faire comprendre que « cadre constitutionnel » ou pas c'est l'institution militaire et elle seule qui est aux commandes du pays et fixe les règles du « jeu » politique.

Gaïd Salah s'en est pris sans ménagement autant aux adversaires déclarés et irrécupérables de la feuille de route que le pouvoir de fait dont il est l'homme fort veut la mise en application qu'aux parties qui se sont dites prêtes à s'y inscrire sous conditions destinées à instaurer le climat de calme et de sérénité indispensable pour celle-ci. Sans omettre également qu'il n'a pas épargné le chef de l'Etat constitutionnel en lui signifiant qu'il doit se cantonner dans son rôle de faire-valoir civil au pouvoir de fait que lui incarne. Consciemment ou inconsciemment, le chef de l'armée a fait une « sortie » qui va accentuer les crispations politiques. Il a poussé les adversaires de la feuille de route du pouvoir de fait à la radicalisation de leurs positions et revendications dont la traduction a été vérifiable dans les nouveaux slogans scandés lors des marches d'hier vendredi.

Il a dans le même temps donné prétexte aux autres acteurs de la crise n'ayant pas été dans le rejet catégorique de cette feuille de route à s'en démarquer au motif que les injonctions et lignes rouges qu'il a assénées sont elles aussi inacceptables pour eux et qui plus est pour le mouvement populaire duquel ils ne veulent pas se dissocier tant sur ses revendications que sur ses objectifs politiques et sociétaux. Pour sûr qu'après la «sortie» de Gaïd Salah, l'isolement politique dans lequel est confiné le pouvoir factice et honni qu'incarne Bensalah va s'étendre à celui de fait dont il est l'homme fort du moment. Et que de ce fait l'horizon en Algérie au lieu de s'éclairer et se détendre va inéluctablement s'assombrir.