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De cette dépendance à la faim

par Moncef Wafi

En continuant encore et toujours à truster le podium des importateurs de blé dans le monde, l'Algérie signe un bail, longue durée, avec une dépendance alimentaire qui la rend vulnérable à plus haut degré. En achetant la semaine dernière, 180.000 tonnes de blé meunier, plus que prévu selon Reuters, l'estimation première étant entre 90.000 et 120.000 tonnes, l'Algérie consacre une politique agressive d'importation et traduit le malaise d'un pays qui a pourtant misé sur une indépendance alimentaire portée en étendard par tous les gouvernements qui se sont succédé à sa tête. Cette fameuse autosuffisance alimentaire, hypothétique prétention des pouvoirs publics, exhibée à chaque début de mandat ou servi au menu des discours électoralistes et populistes. Ce souhait, plus qu'un programme savamment réfléchi, ne trouve sa raison d'être que dans l'agriculture, seule garante d'une indépendance alimentaire. Pourtant, si les choses sont clairement dites et les priorités connues, l'action ne suit pas.

Ou ne veut pas suivre, le gouvernement étant plus préoccupé à pomper le sang noir de l'Algérie qu'à semer et récolter du vert. Evoquer cette finalité équivaut à autopsier plus qu'à auditer le secteur de l'agriculture longtemps laissé en jachère. Un secteur en crise, malade de sa politique, de ses hommes et des dessous des cartes d'Alger. Tous les paramètres convergent pour le rendre davantage indigent incapable de produire suffisamment et de satisfaire la demande nationale. On y souligne la surface cultivable très faible constamment agressée par les éléments naturels et la main «domestique » du prédateur foncier. Ainsi, l'érosion naturelle, l'avancée du désert, l'insuffisante disponibilité d'eau d'irrigation se conjuguent à l'émiettement des propriétés agricoles, l'accaparement des meilleures terres par les constructions, le boum démographique, l'exode rural vers les régions côtières, et le non renouvellement de la main-d'œuvre agricole pour freiner durablement le renouveau de l'agriculture algérienne. Cette liste non exhaustive des agressions extérieures et du manque d'intérêt politique au secteur ont fait considérablement régresser cette agriculture pourtant présentée comme l'une des alternatives gouvernementales à la dépendance à la rente pétrolière. De Doha, Sellal, alors Premier ministre, affirmait à qui voulait le croire que l'Algérie qui «prépare actuellement son passage à l'après-pétrole » a décidé de «miser, pour les prochaines années, sur des secteurs clés tels que l'agriculture, le tourisme et l'énergie ». Un vœu pieux, mais simplement un vœu qui se suffit à lui-même tant que les prix du pétrole ne se cassent pas la gueule pour de bon. Ce manque de volonté politique est le principal obstacle à la relance d'un secteur qui possède tous les atouts pour être la prochaine locomotive économique du pays. L'économiste Farès Mesdour, de l'université de Blida, a livré des chiffres accablants sur l'agriculture en Algérie. Alors que le secteur doit être la locomotive de l'économie nationale, on importe toujours pour manger.

Selon lui, il existe 32 millions d'hectares d'excellentes terres en Algérie mais qui ne donnent rien en comparaison avec les 3 millions en Californie qui engrangent annuellement 600 milliards de dollars et le 1,6 million d'hectare en Espagne qui fournit au pays 400 milliards de dollars. Des chiffres à méditer mais loin des préoccupations du gouvernement. En effet, et selon les spécialistes en la matière, avec une dotation en terres à usage agricole d'à peine 0,3 hectare par habitant et des rendements parmi les plus bas du monde, la question de l'autosuffisance alimentaire de l'Algérie ne se pose même pas.