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Quand la poutinophobie fait dire n'importe quoi

par Kharroubi Habib

Samedi, des dizaines de milliers de Françaises et de Français ont battu de façon festive les pavés de Paris et des principales villes de l'Hexagone pour manifester leur opposition à la politique économique et sociale menée par Macron et le gouvernement qu'il a nommé. Dans le même temps, quelques milliers de Russes sont eux aussi descendus dans la rue, à Moscou principalement, pour exprimer leur désapprobation à la gouvernance de leur pays conduite par le président Vladimir Poutine. Les deux évènements ont bien évidemment fait l'objet d'une couverture médiatique de la part des chaînes de télévision françaises et ont donné lieu à celles-ci à en commenter les significations et les portées politiques. Les commentaires qu'ont eu à entendre leurs téléspectateurs n'ont pas brillé par leur profondeur et l'impartialité des jugements portés par leurs auteurs.

S'agissant de la protestation sociale qui a eu pour cadre les rues françaises, les commentateurs des chaînes en question ont rivalisé en appréciations dévalorisantes sur le bien-fondé des revendications qui s'y sont exprimées. Tous l'ont réduite à l'état d'une manifestation dont les initiateurs et acteurs proviendraient de la minorité politique radicale qui persisterait dans le déni du résultat de l'élection présidentielle de 2017 et tente de fomenter une fronde politico-sociale contre son vainqueur pour qu'il renonce aux réformes ayant constitué son programme électoral. Pour ces commentateurs, les manifestants de samedi n'ont été que des trublions mus par la frustration d'avoir vu leur courant politique mis en échec.

C'est sur un tout autre ton qu'ils se sont exprimés sur la manifestation moscovite anti-Poutine. Bien que les anti-Poutine ont été de loin moins nombreux que ceux qui à Paris sont descendus dans la rue pour vilipender Macron et sa politique, leur contestation a été elle par contre présentée par les mêmes commentateurs et analystes sous un jour qui a donné à comprendre qu'elle serait le signe d'un profond désaveu populaire à l'endroit du président russe et de la manière dont il dirige le pays. Dans un cas des dizaines et des dizaines de milliers de protestataires ont été déclarés des rêveurs nostalgiques et ringards totalement déconnectés de la France profonde et de ses attentes, limite s'ils n'ont pas été traités de «putschistes».

Dans l'autre quelques milliers ont été encensés comme étant l'avant-garde déterminée d'un mouvement politico-sociale de saine contestation qui enflerait en Russie. Aux manifestants français il a été opposé par les médias «mainstream» de leur pays que leur contestation est sans perspective car visant un pouvoir qui a la légitimité des urnes. A ceux de Moscou les mêmes médias ont décerné le label d'opposition démocratique engagée dans un combat courageux contre l'autoritarisme poutinien mais en omettant intentionnellement le fait que Poutine a été lui aussi légitimé par les urnes à travers un scrutin d'une régularité inattaquable.

L'on retient de ce que les médias français ont déversé sur les deux manifestations en question qu'ils sont unanimes dans leur parti pris contre les couches sociales françaises qui protestent contre la politique macronienne qu'elles perçoivent comme vouée à conforter les intérêts des plus riches et leur russophobie qu'ont suscité chez eux les succès remportés par Poutine sur la voie de la réhabilitation de la Russie en tant que grande puissance qui fait échec aux prétentions hégémoniques de l'Occident sur la scène internationale.