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Le piège libyen

par Mahdi Boukhalfa

L'Algérie avait appelé l'Egypte à cesser ses bombardements contre la Libye vendredi dernier. En représailles contre l'attaque d'un bus de pèlerins coptes par un groupe terroriste, le président égyptien avait lancé ses avions contre la petite ville de Derna, dans l'est libyen. A Alger, cela n'a pas plu, d'autant que la diplomatie algérienne est en plein redéploiement de sa stratégie axée sur le dialogue pour amener les Libyens à la table de discussions.

D'ailleurs, les Algériens l'ont dit aux Egyptiens, que les bombardements de bases supposées de terroristes en Libye ne règlent pas le problème du terrorisme en Egypte. Cela tombe sous le sens, d'autant que l'Egypte semble plutôt favoriser une des tendances politico-militaires libyennes au détriment d'une solution globale, consensuelle. Une stratégie qui aura le mérite de faire perdurer l'instabilité politique et la recrudescence de la violence dans ce pays.

En outre, Le Caire est fortement soupçonnée d'entretenir la Libye dans un état de guerre permanente en armant son allié, le maréchal Haftar, au détriment d'une position plus pragmatique qui aurait voulu qu'elle discute avec les deux grandes tendances, celle de Tobrouk comme celle de Tripoli, où siège le Gouvernement d'union nationale de Fayez Al Sarraj. Or, cette posture égyptienne, qui est à peu près celle de l'OTAN, n'est pas du goût d'Alger. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'Egypte ne veut pas discuter avec le chef du GNA, Fayez Al Sarraj, qu'elle considère comme ayant des soutiens parmi les groupes islamistes ayant des liens avec des groupes terroristes, autant Aqmi que Daech ou Ansar Charia (qui se serait autodissous). Et, de ce fait, ne conçoit un plan de règlement de la crise libyenne qu'avec une seule partie, en restant fermée aux autres composantes autant politiques que sociales et ethniques libyennes.

C'est cependant à ce niveau que l'Algérie est en train de mener un travail en profondeur, non pas pour qu'il y ait seulement un rapprochement entre les gouvernements de Tobrouk et de Tripoli, mais pour qu'il y ait une prise en compte de toutes tendances libyennes, religieuses, politiques ou ethniques confondues. Avec l'isolement des groupes terroristes et la fin des milices armées.

C'est en fait ce scénario qui est mis sur le terrain par l'Algérie, qui a déjà l'appui de l'ONU, mais pas encore les principaux pays de l'OTAN, dont les Etats-Unis, la France et l'Italie, qui ont des forces spéciales sur le terrain pour contrôler les expéditions de pétrole, et, surtout, négocient avec le maréchal Haftar, qui contrôle plus ou moins les grands ports pétroliers d'où est exporté le brut libyen. Il est clair que dans cette tragédie libyenne, il y a un extraordinaire antagonisme d'intérêts entre les pays occidentaux et les pays voisins de la Libye.

Que l'Italie s'inquiète des vagues de milliers de migrants sur son sol ou de l'arrêt, sinon le ralentissement des livraisons de brut, cela est plus ou moins compréhensible, mais que l'Egypte, un pays voisin, multiplie les manœuvres, même militaires, pour enfoncer la Libye dans le chaos, quitte à menacer la sécurité des autres Etats voisins, cela n'est pas tolérable. D'autant qu'en allant attaquer un pays ami et voisin, pour montrer son intransigeance contre le terrorisme, ce n'est guère proposer une solution pour que l'Egypte ne soit plus menacée par l'instabilité de la Libye.

C'est l'effet contraire qui va se passer, sans pour autant rassurer la communauté internationale, et même les Coptes d'Egypte, que le bombardement de la Libye est une bonne chose. Pour l'Algérie, les Egyptiens doivent cesser de jouer double jeu et revenir à la solution idoine, sécuriser leurs frontières, lutter contre le terrorisme en travaillant sur une seule option : celle du dialogue et la réconciliation entre les différentes forces politiques et militaires en présence, à l'exception des groupes terroristes.