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Pêche en eau trouble

par Kharroubi Habib

Dans le juteux et très convoité créneau de la pêche au thon rouge, les limitations de quota de capture, que la Commission internationale pour la conservation des thonidés (ICCAT) impose annuellement aux Etats riverains de la Méditerranée, font que les étrangers, Libyens, Turcs ou autres, n'ont aucun scrupule à user de la ruse pour dépouiller leurs concurrents de la part qui leur revient.

 A ce titre, il est avéré que l'Algérie est leur cible favorite. Pour la simple raison qu'en la matière, les autorités algériennes font preuve d'une indifférence totale aux enjeux en cause pour le pays dans ce créneau. Pour preuve de ce comportement, il a fallu que la presse nationale révèle que l'ICCAT a décidé, le 9 décembre à Paris, de ramener le quota de pêche autorisé aux Algériens de 680 tonnes à 138 tonnes pour que le ministère de la Pêche s'émeuve et tente d'expliquer pourquoi une telle décision a été prise.

 Le ministre de la Pêche, Abdallah Khanafou, a mis les déboires algériens sur le compte des services consulaires français qui, selon lui, ont refusé d'accorder les visas Schengen à la délégation de son département qui devait aller à Paris défendre les intérêts de l'Algérie auprès de l'ICCAT, et des Libyens qui auraient informé cet organisme de «l'impossibilité pour les Algériens de pêcher leur quota faute de moyens».

 Les accusations formulées par le ministre valent ce qu'elles valent. Il reste que nous n'aurions rien su de la réduction imposée par l'ICCAT à l'Algérie si la presse ne l'avait pas dévoilé.

 L'épisode met une fois de plus en relief le laxisme des autorités dans la prise en charge des intérêts nationaux. Pour s'en tenir au cas du secteur de la pêche, il n'y a pas pire preuve de ce laxisme que l'aveu fait par le ministre qui en a la charge en reconnaissant que les pêcheurs nationaux «sont dans l'incapacité de pêcher tout le quota de thon qui leur est réservé». Un aveu aux allures de constat d'échec au regard des subventions et autres avantages que l'Etat accorde à ce secteur depuis des années.

 Il a donc fallu la déconvenue que l'Algérie a subie auprès de l'ICCAT pour que Khanafou admette que quelque chose ne tourne pas rond dans son secteur et promette que des mesures seront prises contre les bénéficiaires de subventions n'ayant pas joué le jeu. Promesse que nos ministres font systématiquement quand le scandale éclabousse leur département mais à laquelle les citoyens ne croient nullement. En l'occurrence, ces derniers auraient pu prendre pour argent comptant celle du ministre Khanafou si la pêche du thon rouge était le seul problème qui échappe encore au contrôle et suivi de son département.

 Malgré les milliards de dinars octroyés par l'Etat pour censément dynamiser le secteur de la pêche, le résultat est calamiteux, puisque le poisson est devenu une denrée inaccessible pour l'écrasante majorité des foyers algériens. L'argument justificatif avancé par le ministre que le «poisson, à l'instar de tous les produits, obéit à la loi de l'offre et de la demande» est irrecevable car il occulte les opérations spéculatives qui, à la connaissance générale, ont lieu autour de la pêche nationale.

 Celui d'une «raréfaction de la ressource en Méditerranée» aussi avancé par Khanafou ne tient pas plus la route au vu des «miraculeuses» prises que font nos voisins marocains, tunisiens et même libyens. Dans les pays de ces pêcheurs, il y a une véritable volonté politique qui exerce le contrôle sur leur profession afin que la ressource halieutique bénéficie aux citoyens.

 Chez nous, c'est le laisser-faire qui prévaut qui conduit au scandale du thon rouge, au surréalisme de la sardine dont le prix est hors d'atteinte des bourses familiales, et à celui de la crevette dont la majorité des Algériens ont fini par oublier le goût.