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UNE DOUCHE A L'ACIDE

par Abdou BENABBOU

Le paradoxe est d'une flagrance inouïe. L'Aïd, jour de piété, de ressaisissement et de réaffirmation des consciences, a offert cette année encore deux images parallèles dissemblables pour en dire long sur une irrationalité nationale dont aucune tronçonneuse ne viendrait à bout. La pléthore des maisons du culte offrait d'un côté un achalandage de civilités et de correction à toute épreuve, mais les rues et les boulevards se sont parés de montagnes et d'immondices et d'ordures à couper la respiration à toute logique.

Le problème du ramassage des ordures ne date pas d'aujourd'hui et il reste le premier témoin des degrés d'avancée, de progrès et de civilisation d'une cité et offre l'une des premières cartes de visite d'un peuple et d'un pays. Au même titre que le décompte des mosquées, il est révélateur de l'état d'esprit d'une population et de ses dirigeants et quand les deux ne font pas bon ménage, il devient évident que la gouvernance bat de l'aile. Dans ce flagrant désordre parmi d'autres, les citadins n'y sont pour rien et l'absence de sa prise en charge par ceux censés lui apporter une solution rationnelle n'est pas seulement un indicatif d'un désagrément conjoncturel mais bien un symbole hautement significatif soit d'un laisser-aller coupable, soit d'une incompétence criarde. Dans les deux cas, l'infantilisme et le dérèglement de la pensée crèvent les yeux et le spectacle est désopilant.

Il faut donc donner raison à ces habitants d'un quartier de Tlemcen qui de guerre lasse il y a un temps avaient décidé d'un commun accord de déposer leurs ordures devant la résidence du wali pour voir aussitôt le problème du ramassage résolu.

Il est en effet inadmissible de fourrer des centaines de milliards de dinars dans des édifices pour un douteux prestige et une foi d'apparat ici et là et un peu partout et ne pas être capable de gérer des poubelles d'ordures.

En fait, ce qui ressemble faussement à une damnation ne date pas d'aujourd'hui. Elle a commencé depuis plus de cinquante ans quand la noblesse de l'intelligence a été forcée de prendre une douche à l'acide. Ceux qui avaient la faculté de la création et de l'imagination positive ont été contraints de pousser leur juste vision à sa propre incinération.