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Manipulations

par Mahdi Boukhalfa

Que s'est-il passé ces derniers jours en Libye, toujours écartelée entre deux courants, pour que le maréchal Haftar, qui domine l'Est libyen, lance de graves menaces contre l'Algérie et l'accuse d'intrusion de ses troupes ? Pour le moment, les données relatives à cette situation pour le moins embarrassante pour les deux parties ne sont pas encore connues. Mais la colère côté libyen, du moins au sein de la principale force militaire qui domine une grande partie du pays, la Cyrénaïque, et surtout les villes du croissant pétrolier, est réelle.

Selon les propos du maréchal Haftar, qui a envoyé un de ses adjoints à Alger, il s'agirait d'incursion de forces militaires algériennes en territoire libyen. Fallait-il pour autant donner à l'affaire plus qu'elle ne le mérite ? Assurément pas, car le maréchal Haftar, qui serait un potentiel présidentiable en Libye, a eu le réflexe de dialoguer rapidement avec les responsables algériens qui l'ont d'ailleurs rassuré que l'incident est clos. Mais, certains propos de Khalifa Haftar, qui a réuni les notables des villes de l'Est libyen pour les entretenir de l'incident, sur un «déplacement de la guerre d'un côté à un autre» ont été vite exploités pour donner à l'incident plus d'importance qu'il ne le mérite dans le contexte politico-militaire actuel en Libye. Et provoquer ainsi une mini-crise politique entre les deux pays. Or, la situation actuelle en Libye, avec la réapparition du danger de la guerre civile et la reprise des combats dans plusieurs parties du pays, reste plus que préoccupante autant sur le plan politique que militaire.

Or, cette détérioration de la situation intervient alors que l'agenda tracé par le chef de la mission de l'ONU pour la Libye, le Libanais Ghassan Salamé, doit aller vers des élections législatives et présidentielles avant la fin de l'année. Un processus soutenu par une vingtaine de pays, dont la France, sponsor officiel de Haftar, et il est pour le moins anachronique de parler d'une crise entre Alger et une des parties au conflit en Libye, divisée pratiquement en deux, l'Est, la Cyrénaïque, dominé par Haftar, et l'Ouest, la Tripolitaine, gouverné par Fayez Esseradj, d'ailleurs soutenu par l'ONU et la communauté internationale. L'Algérie est la seule et depuis le début de la crise libyenne, après la chute de Kadhafi, à avoir préconisé le dialogue politique entre toutes les forces libyennes, entre tous les Libyens, pour parvenir à une solution politique consensuelle qui puisse ouvrir la voie à une large réconciliation nationale. Cette position ferme dérange, certes.

Même si on ne peut accuser Haftar, ancien opposant à Kadhafi, de faire le jeu de certaines puissances occidentales et qu'il pourrait avoir été parmi ces milliers de «Contras» libyens entraînés à N'Djamena par des agents de la CIA pour renverser le guide libyen dans les années 1990 et transférés à Fort Braggs en Caroline du Nord dans les jours qui avaient suivi la chute de Habré, on ne peut également l'absoudre de se tromper de cible, même en lançant des menaces sans lendemain, mais qui, dans le fond, obéissent à des arrière-pensées politiques évidentes. Et le chef de la diplomatie algérienne Abdelkader Messahel, qui tente de recoller les morceaux éclatés de la cohésion entre toutes les forces politiques, clans et tribus libyens, l'a bien cerné en estimant que «le processus en Libye est contrarié par trop d'agendas qui ne permettent pas à la volonté du peuple libyen d'aboutir selon la stratégie arrêtée par les Nations unies».