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Une crise, un scandale

par Mahdi Boukhalfa

La crise du logement ne devrait pas être vaincue de sitôt avec la gestion ambiguë du parc immobilier construit avec les deniers de l'Etat. La révélation d'un nombre ahurissant de logements achevés et non livrés aux walis pour leur distribution aux citoyens par les OPGI pose le problème crucial du marché locatif, du marché noir et de la rente immobilière et, plus globalement, de la gestion opaque d'un patrimoine, objet de toutes les convoitises. Et beaucoup de questions sur cette inexplicable rétention que vient de dévoiler le ministre de l'Habitat.

Même si la note adressée au Premier ministre par le premier responsable d'un secteur qui fait beaucoup parler de lui, en mal plus qu'en bien, révèle une curieuse gestion de son patrimoine immobilier, il n'en demeure pas moins que retenir et ne pas livrer aux walis plus de 150.000 logements achevés est de nature à maintenir, sinon exacerber la crise du logement. Sinon à prendre en otage une formidable demande sociale, alimenter et exacerber la crise du logement. Le ministre de l'Habitat en transmettant une note «interne» au Premier ministre sur une réserve de 150.211 logements achevés et non remis aux walis, et donc pas encore distribués à leurs destinataires, car retenus inexplicablement par les OPGI, a tous les aspects d'un autre scandale dans le secteur de l'habitat, à un moment où les entrepreneurs du BTP sont asphyxiés par le non-paiement, sinon par intermittence, de leurs travaux. La loi de finances 2018 a même réservé une bonne part du budget de l'Etat au paiement des entrepreneurs du BTP qui avaient l'année dernière organisé plusieurs manifestations pour être «payés».

Or, en dépit de la crise financière qui frappe le pays de plein fouet, le secteur de l'habitat n'a, semble-t-il, pas été tellement touché, du moins dans la réalisation des programmes tracés par les pouvoirs publics. Ce qui pose des questions sur les raisons de la rétention par les OPGI d'un parc important de logements, dont des logements locatifs, qui auraient pu améliorer la trésorerie de ces offices s'ils avaient été distribués. Or, le plus étonnant dans cette posture, qui complique encore plus la situation d'un secteur sensible et qui mobilise un budget de plus de 2 milliards de dollars, c'est la totale désinvolture avec laquelle les offices sont laissés, sinon abandonnés à une gestion irrationnelle de biens publics. Car, d'un côté, les créances non recouvrées auprès des locataires dépassent les 100 milliards de dinars et de l'autre les OPGI ne font rien pour améliorer leur trésorerie, au moins en livrant les projets achevés. Autant pour diminuer la pression des créances des entreprises du BTP que pour améliorer leur cash flow et maintenir la cadence de réalisation de logements sociaux et locatifs.

Cette attitude des OPGI à gérer comme des «épiciers» la rareté d'un bien financé par la collectivité nationale n'est pas de nature à résoudre, encore moins à atténuer la crise du logement à un moment où les ressources de l'Etat s'estompent et ne permettent plus des «folies» dans le secteur de l'habitat. C'est l'une des raisons de l'orientation de la politique sociale du gouvernement vers la formule de la location-vente, plutôt que de financer des logements sociaux à tour de bras, et laisser ce type de logements aux catégories sociales démunies. En retenant un nombre important de logements achevés, selon cette note du ministre de l'Habitat, les offices de promotion immobilière participent, volontairement ou pas, là n'est pas la véritable question, à l'exacerbation autant de la crise sociale que la persistance de dysfonctionnements étranges dans un secteur pourtant objet de toutes les attentions des pouvoirs publics.