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Maroc, retour aux années de plomb

par Mahdi Boukhalfa

Au Maroc, les années de plomb n'ont, à vrai dire, jamais été effacées, éliminées. Pour ceux qui en doutent, le verdict glaçant du procès des leaders du mouvement rifain Hirak en est la preuve la plus cinglante. Vingt longues années de réclusion criminelle contre les quatre leaders du mouvement, coupables, sur le papier, d'atteinte à la sécurité de l'Etat. Dans les faits, ils sont tout simplement répréhensibles pour avoir manifesté leur désarroi devant des lendemains difficiles qui déchantent. En dépit de la propagande du Makhzen sur la bonne tenue de la croissance économique du Maroc, où business et trafic de drogue font bon ménage dans la balance commerciale.

Ce n'est pas une vue de l'esprit. Il suffit d'aller à M'diq ou F'nideq, près du Détroit, pour avoir un aperçu sur l'importance du blanchiment de l'argent de la drogue, étalé au grand jour dans un pays où une bonne partie de sa population ne vit qu'avec moins de deux dollars par jour. Ce qui s'est passé dans le procès des militants du Hirak, entre juillet 2017 et mardi dernier, c'est la confirmation que les années de plomb sont toujours là. Ces années noires du Maroc, à partir de 1955 et la fin du protectorat, où les opposants politiques, s'ils n'étaient pas liquidés et jetés dans des fosses communes, sont condamnés à de lourdes peines de prison et oubliés dans des bagnes terribles, dont celui de Tazmamart, mais également ceux de Kalaat S'raghna.

Beaucoup de militants des droits de l'homme au Maroc ont été abasourdis devant la dureté du verdict, d'autant que les jeunes du Hirak, dont les quatre leaders, n'ont durant l'automne 2016 et le printemps 2017 fait que manifester pour demander plus de justice sociale, la fin de la corruption, du travail et de meilleures conditions de vie. Ils avaient également demandé que justice soit faite pour le poissonnier Mohcine Fikri, mort broyé dans une benne à ordures en tentant de sauver sa marchandise, saisie par la police. Beaucoup estiment que le procès des militants du Hirak n'est pas celui de personnes, frondeuses, mais celui d'une région, la plus pauvre et la plus marginalisée du royaume, pour avoir osé braver les lignes rouges imposées par le Makhzen et revendiqué sa part de développement social.

La ville d'Al Hoceima, épicentre des manifestations des populations rifaines pour l'amélioration de leurs conditions de vie, est en fait administrée par le PAM (Parti Authenticité et Modernité), un parti créé par Fouad Al Hima, proche d'entre les proches et conseiller du roi. Les militants du Hirak avaient également, pour leur malheur, dénoncé la corruption qui gangrène les responsables locaux. Suffisant pour que le Makhzen intervienne pour rappeler à tous, à travers une parodie de procès, les limites à ne pas dépasser et surtout ne pas abuser d'une démocratie de façade déployée juste pour plaire aux ONG de défense des droits humains. Le régime de Mohamed VI s'avère être la réplique ou la parfaite copie du règne de son père, après un bref intermède lors de son accession au trône où il aura berné les Marocains.

Le cas de figure des militants du Hirak, qui n'ont jamais revendiqué autre chose qu'une plus grande justice sociale, du travail et du pain, la fin de l'isolement du Rif et sa part de développement social, donne une image grandeur nature d'une monarchie perdue dans ses contradictions, qui veut plus que jamais berner la communauté internationale, comme prendre définitivement possession d'un territoire, le Sahara Occidental, qui n'est pas le sien. Ce que vivent les populations du Rif, entre isolement, pauvreté et répression, le vivent également les Sahraouis dans les territoires occupés. Tout le problème pour les ONG est de le faire sentir à M. Horst Köhler et aux pays qui soutiennent l'infamante troisième voie.