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Gouvernance et contradictions

par Mahdi Boukhalfa

La nouvelle loi sur les hydrocarbures sera élaborée par un cabinet d'études américain. C'est ce qu'a affirmé avec aplomb en fin de semaine le ministre de l'Energie qui a précisé qu'elle sera prête vers le début de l'année prochaine. L'Algérie n'aura ensuite qu'à l'appliquer. Mais, c'est la première fois depuis l'indépendance du pays et la nationalisation en 1971 des hydrocarbures qu'une loi, qui va régir le fonctionnement de la «mamelle» du pays, sera réalisée par des étrangers. Et, même si la loi actuelle n'arrange pas «les investisseurs», fallait-il pour autant en faire une autre par des étrangers ?

L'annonce a été faite devant le Conseil de la nation avec cette étonnante justification que «le pays ne peut pas s'isoler». «On a ramené un cabinet d'études américain. Il pouvait être anglais ou français. Il n'y a pas de problème. L'essentiel est d'avoir une loi bénéfique pour notre pays». Ce sont là les propos du ministre de l'Energie qui du coup fait voler en éclats les déclarations de son Premier ministre devant ce même Conseil de la nation, quelques heures plus tôt. En effet, Ahmed Ouyahia a affirmé devant les sénateurs que «le gouvernement va de l'avant dans sa démarche pour la prise de mesures anticipées et la mise en action de dispositifs et de mécanismes à même de garantir la sécurité socio-économique du pays». Il expliquera cette démarche par la mise en place d'instituts et de centres d'études algériens pour travailler sur les grandes perspectives économiques, politiques, sécuritaires et de relations internationales.

M. Ouyahia va plus loin en affirmant que l'Algérie est appelée dorénavant à avoir ses propres centres de recherche en prospective et il s'agit là, a-t-il affirmé également, «d'une démarche intégrée et cohérente qui veille à l'implication de toutes les parties concernées dans l'élaboration d'études analytiques et de recherches stratégiques et prospectives, au service du processus de développement national durable et de l'intérêt suprême du pays». Voilà, le mot est lâché, car l'intérêt du pays, si tant est que le gouvernement parle d'une même voix, voudrait d'abord qu'au sein de l'exécutif on ne se marche pas sur les pieds. Et, surtout, qu'il y ait une démarche cohérente, concertée au sein du gouvernement.

Or, les déclarations de MM. Guitouni et Ouyahia laissent penser qu'il y a une certaine asymétrie dans le discours du gouvernement, une dissonance dans sa démarche globale. Et, au final, qu'il n'y a, apparemment, aucune concertation de fond sur les grandes décisions qui font fonctionner le pays. Car au moment où le ministre de l'Energie, qui a le département le plus sensible, affirme que le recours à un cabinet étranger pour élaborer une loi pour la gestion des hydrocarbures, qui font nourrir 40 millions d'Algériens et assurent la sécurité économique du pays, «n'est pas un problème», son Premier ministre revendique, lui, la nécessité impérieuse pour le pays d'avoir ses propres centres de recherche, d'analyse et de réflexion pour assurer un meilleur développement économique et social du pays.

Or, offrir sur un plateau la confection d'une nouvelle loi sur les hydrocarbures à un cabinet d'études étranger est d'abord en soi une retentissante négation de tout ce qu'a défendu quelques moments auparavant le Premier ministre devant les sénateurs. Ensuite qu'une telle contradiction dans la démarche du gouvernement est sidérante, d'autant qu'elle met de facto au placard les compétences algériennes tant vantées par les plus hautes autorités du pays. Et, surtout, qu'elle va offrir sur un plateau aux lobbies pétroliers américains tout ce qu'il y a «de bon dans le sous-sol algérien».