Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Un marché de dupes

par Mahdi Boukhalfa

Il y a dans cette précipitation du gouvernement à vouloir mettre en place une industrie automobile beaucoup de naïveté. Et que certains lobbies, proches ou pas des centres de décision, la question n'est pas là, exploitent pour pratiquement ratiboiser les citoyens. Le ministre de l'Industrie et des Mines l'a si bien confirmé lors de déclarations lundi à Bordj Bou Arréridj, en ce sens que le gouvernement ne maîtrise ni ne veut contrôler cette industrie «génération spontanée» de la construction automobile. Car il y a un fait admis dans cette filière qu'une industrie de l'automobile ne peut être mise en place qu'au moment où tous les composants, sinon les pièces maîtresses, sont fabriqués sur place. Or, la configuration proposée par les pouvoirs publics et mise en place par des constructeurs triés sur le volet ne ressemble ni de près ni de loin à ce schéma.

Il s'agit tout simplement de l'importation de voitures «clés en main», dont seulement une ou deux pièces non vitales sont montées dans les usines de ces «constructeurs». Ce qui est déprimant, c'est que tout le monde le sait, y compris le ministre en charge du secteur, et qui ferme les yeux sur ce que beaucoup d'analystes ont déjà désigné comme une arnaque à grande échelle. Presque tous les modèles de voitures commercialisés par les franchises algérianisées sont fabriqués ailleurs et sont expédiés en Algérie dans des containers pour être ensuite commercialisés. Plusieurs marques sont dans cette configuration, ce qui, en réalité, est une entorse grave au cahier des charges. Et là nous sommes loin des 5% d'intégration exigés pour la première année et encore très loin des 35% au bout de trois ans.

En réalité, lorsque M. Yousfi précise à qui veut l'entendre que «notre politique est d'encourager l'industrie automobile en Algérie» et non «le montage», c'est qu'il y a un problème. A qui parle vraiment M. Yousfi, le patron du secteur, lorsqu'il insiste qu'il s'agit non pas de montage mais d'industrie automobile ? A moins qu'il ne prêche dans le désert, le ministre sait pertinemment qu'à l'heure actuelle il n'y a même pas de montage de véhicules, même pas un assemblage, dont le SKD ou le CKD. Rien. Le pire est que des modèles fabriqués dans un pays d'Europe de l'Est sont directement expédiés sur le marché algérien. C'est une situation tout à fait inquiétante sur ce segment qui prévaut actuellement et que le ministère de l'Industrie, sans doute impuissant devant les lobbies, a tenté de désarticuler en publiant, même si le ministère du Commerce affirme que les prix sont libres, les prix sortie d'usine des voitures «montées» en Algérie.

Entre les prix sortie d'usine, une exigence commerciale d'ailleurs du cahier des charges, et ceux pratiqués réellement, il y a des différences astronomiques, des marges pouvant dépasser les deux millions de dinars. Cette anarchie contrôlée sur le segment de l'automobile est bien étrange, d'autant que du côté des pouvoirs publics, c'est-à-dire les ministères du Commerce et de l'Industrie, il n'y a aucune réaction à ce que beaucoup de citoyens désireux d'acquérir une voiture neuve ont qualifié d'arnaque et appelé même au boycott de ces voitures «made in bladi». Car au final, si les licences d'importation de voitures ont été supprimées au profit d'une industrie de l'automobile qui n'a de vrai que son appellation, c'est bien le citoyen, le consommateur à l'autre bout de la chaîne, qui est pénalisé. Il est livré, sans défense, dans un nouveau marché d'une illusoire industrie de l'automobile. Et, pour corser l'addition, il y a également les assurances et certaines banques qui ne se gênent pas pour profiter de cette manne en proposant des taux de crédits astronomiques, plus hauts que le niveau de l'inflation, pour le financement de l'achat d'une voiture neuve.