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Désillusion

par Mahdi Boukhalfa

Images choquantes, violentes. La manifestation de protestation des médecins résidents, tabassés mercredi dernier par des policiers, a dangereusement écorné l'image du pays. Et le renvoie une fois encore à ses classes en matière de démocratie, d'exercice des libertés publiques. Toute la sémantique sociologique de la nouvelle loi fondamentale, qui doit pour le président de la République donner toute la force et la vigueur pour l'émergence d'une nouvelle société citoyenne, responsable, à l'ombre d'une démocratie soucieuse du respect des droits de l'homme et de la liberté d'expression, a volé en éclats.

Une terrible désillusion pour les Algériens, choqués par des scènes de violence contre un des corps les plus choyés par le système de l'enseignement supérieur, la crème des étudiants, le métier le plus noble qui soit, celui de soigner l'humain, de prendre en charge les pandémies sociales. Etait-il nécessaire d'aller vers une telle extrémité ? Absolument pas, et l'image de jeunes étudiants en médecine le corps en sang est absolument intolérable, choquante, quelles qu'en soient les raisons, du moment que dans toute société aux fondements démocratiques bien établis, il y a cette sublime porte de sortie qu'est le dialogue, le non-recours à la violence contre une manifestation pacifique. Aller vite vers des solutions extrêmes dans des situations délicates, difficiles, semble être le talon d'Achille des autorités qui semblent être terrorisées devant une manifestation pacifique de protestation.

Bien plus, ce qui s'est passé mercredi dans et en dehors d'une enceinte hospitalo-universitaire est le symptôme d'un malaise au plus haut niveau de l'Etat, et que l'Algérie, une fois encore, a un besoin évident de se regarder « les yeux dans les yeux », sans populisme, ni démagogie. Et d'exorciser ce mal qui la ronge. La question reste pendante, d'autant que la réaction mitigée des partis n'a pas été à la hauteur des attentes citoyennes. A l'évidence, ces événements ont choqué l'opinion publique et interpellent le ministère de la Santé pour trouver une sortie de crise, digne et honorable, avant que le malaise ne se généralise. Et, pour que la situation en soit à un tel degré de pourrissement, c'est qu'en réalité le malaise au sein du système de santé et dans beaucoup de segments socio-économiques dans notre pays est profond. Accepter et laisser des médecins en colère se faire tabasser est un aveu d'échec.

Il semblerait que la démission d'un ministre de la République, celui de la Santé dans le cas présent, est également comme les manifestations de protestation interdite. Faut-il dès lors condamner ou verser des larmes de crocodile devant l'exil forcé des milliers de médecins et universitaires algériens ? Le constat est, en outre, accablant à l'échelle des valeurs politiques au sein de la société algérienne qui reste encore prisonnière de carcans hérités du monolithisme sociopolitique des années de parti unique. Le saut épistémologique entre l'ère du tout parti unique et la philosophie de la nouvelle loi fondamentale, appuyée sur le multipartisme, semble être un cuisant échec.

A bien considérer la marche du pays dans le temps, et non pas vers le progrès, vers plus de confort social, plus de libertés citoyennes, plus d'avancées technologiques, scientifiques, il semblerait que notre horloge politique soit bloquée. Le pays reste encore otage de ses peurs, de sa paranoïa du complot et de la menace. Et, dans tous les cas de figure, l'Algérie d'aujourd'hui ne peut avancer vers les territoires de la démocratie tant que soient bridés les appels d'air d'une société qui étouffe et peut exploser à tout moment.