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Hypocrisie

par Mahdi Boukhalfa

Tout naturellement, le 1er sommet UA-UE d'Abidjan a été centré sur le thème «investir dans la jeunesse pour un avenir durable». Naturellement, car le thème convenait parfaitement à l'Union européenne en ces temps de grands flux migratoires. En dépit de mesures policières draconiennes, d'un budget de plusieurs milliards d'euros, d'équipements de surveillance high-tech avec le dispositif Frontex, l'Europe, assaillie de toutes parts par les boat people africains, n'a pas trouvé une meilleure parade à ces milliers de Subsahariens, de Maghrébins et d'Asiatiques qui envahissent ses côtes.

Le sommet d'Abidjan a été dès lors une aubaine pour réorienter les thèmes de cette rencontre sur un seul, celui de la lutte contre l'immigration clandestine. Mais, la politique migratoire européenne a été vite rattrapée par ses contradictions et, surtout, le bourbier libyen, conséquence directe de l'ingérence des Européens dans les pays africains. Les images de migrants vendus comme esclaves dans des souks libyens ont en réalité non pas ému les pays européens ni ne les ont culpabilisés pour avoir érigé des barrières institutionnelles infranchissables, ont tout juste provoqué une réaction épidermique pour que les pays africains prennent eux-mêmes dorénavant ce problème qui empêche l'Europe de dormir. Et l'objectif d'un sommet qui devait travailler sur les grandes questions économiques, d'échanges et de commerce, de développement a vite tourné autour d'un seul mot d'ordre, la lutte contre l'immigration clandestine.

Bien sûr, avec un bel euphémisme, «investir dans la jeunesse pour un avenir durable». Et, dans ce registre, il y a eu ces chefs d'Etat africains qui ont confirmé, par la qualité de leurs interventions, que le continent noir n'est pas prêt ni de s'affranchir de la tutelle (néocoloniale ?) des pays européens, encore moins de l'influence de la France et de ses satellites sur le continent. L'hypocrisie qui suintait de ce sommet est que jamais les grandes puissances européennes, France et Allemagne en tête, ainsi que l'Italie et l'Espagne, n'ont cherché à trouver des solutions durables et humaines au phénomène de l'immigration clandestine avec tous les pays concernés, sans exclusive. Avec en toile de fond une réelle volonté politique de travailler sur des solutions consensuelles et, surtout, que les discussions se fassent d'égal à égal entre des chefs d'Etat responsables et non tenir des réunion à huis clos pour sermonner des chefs d'Etat pour qui le départ de milliers de leurs ressortissants vers l'Europe est un immense soulagement. Car beaucoup de pays africains, sahéliens en particulier, éprouvent d'énormes difficultés à assurer un minimum social à leurs ressortissants.

Les malheureuses déclarations sur les «coupures d'électricité» du président français au Burkina Faso illustrent mieux que toutes les analyses l'état d'extrême pauvreté dans lequel se trouvent ces Etats émetteurs de la migration clandestine. En face, l'UE semble ne voir que devant sa porte et elle a pratiquement par opportunisme zappé les grands thèmes de la coopération avec l'Union africaine pour ne se concentrer que sur celui qui dérange la quiétude et le confort des citoyens européens qui consomment à moindre coût des produits africains qui font tourner l'économie européenne. Depuis les temps des empires coloniaux, rien ne semble avoir changé dans cette douloureuse relation entre les Africains et les Européens.