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Désertion massive

par Mahdi Boukhalfa

Le pays fonctionnait au ralenti. Depuis près de deux semaines, il s'est arrêté. Les élections locales, au lieu de provoquer un regain de dynamisme et de croissance, d'entrain social, ont pratiquement tétanisé toute activité. Dans le secteur de l'administration, dans les mairies, dans les daïras ou les wilayas, c'est pratiquement un angoissant silence qui accueille les contribuables. Obtenir des documents administratifs est devenu un privilège avec des mairies désertées. D'ici au 23 novembre, ce sera un vide sidéral et, pourtant, tous les candidats et leur staff au renouvellement des assemblées populaires communales et de wilaya ne jurent que par le rétablissement de la bonne gouvernance locale. Les chefs de parti ne sont pas en reste, puisque dans leur campagne électorale ils ne manquent aucune occasion, même durant les visites de proximité, pour insister sur le service public, la bonne gouvernance locale, l'amélioration de l'accueil du public au niveau des APC...

Si la campagne électorale a ses objectifs, dont ceux d'attirer l'intérêt des électeurs et capter leur attention, il n'en demeure pas moins que dans la réalité l'intérêt du citoyen reste le cadet des soucis des élus, sinon des candidats. Le fait est extraordinaire dans notre pays, car au moment où les candidats et leurs responsables politiques, pour ne pas dire les chefs de parti, font des milliers de kilomètres pour aller à la pêche aux voix en promettant «monts et merveilles» à leurs concitoyens, ceux-ci, dans le même temps, n'arrivent pas à obtenir un simple document administratif du fait de l'absence de personnel dans les mairies. Vu de l'extérieur, cela donne une horrible image, angoissante même, celle qui veut que tout le personnel des collectivités local est en congé pour cause d'élections.

Et, ce qui achève de donner cette fâcheuse image d'un pays qui fonctionne au ralenti, c'est la désertion massive et ordonnée des enseignants. Officiellement, il y aurait près de 11.000 enseignants manquants, dont la plupart sont candidats à ces élections locales. Une situation qui complique les choses pour un système éducatif qui bat de l'aile, avec près d'1% du personnel enseignant n'ayant pas d'expérience professionnelle. Faut-il alors blâmer le timing de ces élections locales qui perturbent la scolarité de plus de 8 million d'élèves, ou revoir le système de candidature pour les élections communales ? Cette situation ubuesque est pourtant symptomatique du nouvel état d'esprit qui règne désormais dans les plus profonds rouages de la société algérienne. Et jusqu'aux partis politiques, qui n'ont à aucun moment tracé les lignes rouges à ne pas dépasser pour leurs candidats, dont la poursuite du fonctionnement du service public, même en période électorale.

La frénésie, la course à ces élections, à un poste d'élu local, à la promesse d'un nouveau rang social a pris en otage le pays. Même le Premier ministre n'est pas en reste de cette frénésie électoraliste, puisqu'il dirige de son côté les listes de son parti, avec force déplacements à l'intérieur du pays, à un moment crucial qui aurait voulu qu'il se dispense de se distraire avec cette campagne électorale et se consacrer aux questions nationales prioritaires. Et, surtout, ne pas aggraver la situation sociale déjà précaire avec une hausse rapide de l'inflation en faisant des déclarations intempestives sur les entreprises publiques de nature à renchérir le coût de la vie. Car faire campagne est une chose, faire peur aux Algériens en tant que chef de parti en est une autre. Et, dans les deux cas, le rôle d'un chef de gouvernement est d'être proche de ses missions de gouvernance, loin des luttes électoralistes partisanes, qu'il aurait dû déléguer.