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Demain, peut-être ?

par Mahdi Boukhalfa

Ce ne sont plus les déclarations de circonstance, ni les meetings fiévreux, encore moins les rassemblements populaires, mais pas citoyens, qui vont faire revivre la passion, l'amour pour cette Algérie qu'avaient portée dans leur cœur les Algériens au lendemain du 1er novembre 1954. La flamme de cette date historique s'est éteinte. Il faut en convenir et l'accepter. Il faut aujourd'hui passer à autre chose, même si le devoir de mémoire restera intact. Les termes de l'équation civilisationnelle ont changé et le pays n'est plus le même.

Le monde porte de nouveaux habits politiques, les rapports de force entre les puissances militaires et du capital se sont façonné de nouveaux équilibres géopolitiques et le pétrole n'est plus une arme politique. Comme ces «révolutions» oubliées mais qui restent anachroniques, sinon anodines, dans le flot impitoyable des changements sociaux et économiques dans un monde qui se communautarise de plus en plus. L'Algérie historique est un vivier pour les chercheurs, pour les historiens. La révolution de Novembre est une fierté nationale. Elle le sera pour toujours.

Pour autant, il est urgent aujourd'hui de ne plus en faire un commerce politique, un «boui-boui» de l'histoire récente d'un pays dont l'historicité se confond avec l'histoire de l'humanité développée, et non pas seulement rattachée à une date qui ne signifie plus grand-chose pour les 70% d'Algériens, les moins de 30 ans. C'est une vérité d'autant plus crue, cruelle parce que la guerre de libération a fait plus de 1,5 million de martyrs, des familles décimées, un pays exsangue, mais qu'elle doit, en revanche, interpeller ceux qui se sont autoproclamés dépositaires de l'Histoire du combat des Algériens pour leur liberté à ne plus la monopoliser. Et la laisser en jachère pour les chercheurs, les historiens, les universitaires qui pourront en tirer la sève et la répandre dans le monde civilisé. Car il s'agit de l'histoire d'un peuple, ses souffrances, ses sacrifices, ses rêves, ses espoirs, son avenir et, surtout et plus que tout, de sa dignité qu'il s'agit.

Aujourd'hui plus que jamais, il faut que la commémoration du 1er Novembre ne donne plus lieu à ces sempiternelles manifestations inutiles et fort coûteuses, mais plutôt un moment privilégié de l'année pour un recueillement national à la mémoire de ceux qui ont lutté par les armes, par le verbe, par la politique, par le cœur, par leur corps pour redonner à ce pays sa liberté. Et sa dignité. Son histoire confisquée et ses espoirs. Le reste ne sera que gesticulations démagogiques. Il faut dépoussiérer cette date symbole, historique et la libérer des mains de ceux qui veulent l'accaparer. Car, en fait, il y a eu tant de prédations idéologiques et politiques liées à la révolution armée que les jeunes générations se sont vite désintéressées, détournées.

Le 1er novembre 1954 ne veut rien dire pour les jeunes aujourd'hui. Pis, il n'est plus, et depuis longtemps, une source de la révolution, à trop être galvaudé et, surtout, utilisé et usé à l'envi, au point que beaucoup s'en détournent. Jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que presque toute la jeunesse algérienne veut partir s'installer? en France. Là, quelque part, difficile de trouver une explication. Encore moins la justifier, même si, dans le quotidien des Algériens, le terme «harga» a plus de poids qu'un 1er Novembre. En cela, toutes les politiques sociales, depuis 1962, même à coups de centaines de milliards de dollars, auront échoué. Et ruiné le message du 1er Novembre. Demain, peut-être ?