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La Catalogne en mode Brexit

par Mahdi Boukhalfa

Désormais, il y aura un avant et un après 1er octobre 2017. L'union sacrée en Espagne entre les différentes régions, entre Catalans, Basques, Andalous, Castillans, aura volé en éclats hier après le vote pour l'indépendance de la Catalogne que l'Etat espagnol a interdit et déclaré illégal. L'Espagne a beaucoup perdu hier de son unité et de sa cohésion sociale et politique, alors que le séparatisme a gagné de nouveaux territoires, au-delà du refus de l'Etat espagnol de reconnaître le résultat de ce référendum.

La tenue de ce vote dans des conditions extrêmes, en dépit des interventions policières musclées et violentes pour fermer des bureaux de vote et saisir des urnes et des bulletins de vote, a montré combien le fossé se creuse entre l'Etat central, l'Etat-nation et les autres «nations» espagnoles, dont la Nation «catalane» que la Constitution de 2008 avait reconnue et que le Conseil constitutionnel avait invalidé en 2010. C'est dire que l'Espagne est arrivée à un point de non-retour avec la volonté indépendantiste des Catalans, qui mettent autant les dirigeants espagnols que ceux de l'Europe devant une situation politique inédite: l'indépendance de la Catalogne empêchée, violentée, interdite.

Le sentiment de frustration, de rejet du pouvoir central, pis, de domination va exacerber davantage les tensions et les clivages politiques entre Madrid et la Catalogne et va se répercuter sur toutes les régions d'Espagne. A commencer par les Basques dont le désir indépendantiste n'est pas totalement éteint ni oublié. Autrement, Madrid a été confronté hier à une véritable épreuve de force des Catalans qui sont allés jusqu'au bout de leur logique, mais qui savent cependant qu'ils n'auront jamais cette indépendance politique qu'ils revendiquent maintenant depuis des décennies.

Non, à Madrid comme dans le reste de l'Europe, cette sédition des Catalans n'est pas la bienvenue et ne sera jamais admise, Madrid a déjà supporté les limites de ce que les «unionistes» ont appelé «farce électorale». Car ce qui est en jeu, c'est bien l'unité de l'Espagne, l'union d'un pays dont le peuple, et notamment les Catalans, encore traumatisé par la dictature et les exactions du régime franquiste n'a pas intérêt à vivre de nouveaux clivages, de nouvelles fractures politiques, alors que les blessures de plus de 30 années de dictature ne sont pas tellement fermées, et que la capitale de la Catalogne rassemble si merveilleusement les vestiges d'une époque que les Espagnols ne voudront plus revivre. En outre, cette indépendance et ce séparatisme catalans aux allures de Brexit ne seront jamais reconnus ni par l'Europe ni par l'Etat espagnol.

Alors, un référendum pour rien ? Vu de Madrid, «oui», de Catalogne, «non», car l'Espagne depuis l'époque de la «Transition», les années de passage à la démocratie après la mort du dictateur Francisco Franco, en novembre 1975, n'a jamais connu une période politique aussi difficile. Même au plus fort des revendications indépendantistes basques, dont les actions terroristes avaient discrédité aux yeux des Espagnols et le reste de l'Europe les revendications politiques de l'ETA, l'Espagne n'a jamais été menacée de division. Avec le vote catalan, à blanc ou réel, pour l'indépendance, le pays entre dans une nouvelle dimension politique trouble. Ni les socialistes, dépassés par les revendications sociales des jeunes, qui se sont regroupés au sein du Podemos, ni la droite, encore prisonnière de l'histoire du franquisme, n'ont en réalité pu comprendre le cri de détresse des Catalans.