Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Végétarien dans un pays cannibale

par Moncef Wafi

A deux semaines du début du Ramadhan, les pouvoirs publics se démènent pour assurer un mois de jeûne relativement calme aux Algériens. Première cible : la mercuriale qui angoisse gouvernement et peuple. Tebboune, le ministre du Commerce, par intérim, multiplie depuis quelques mois déjà les mises en garde contre les spéculateurs de tous genres, les menaçant même de bûcher s'ils s'aventuraient sur le terrain des produits subventionnés.

A ce propos, il avait derechef annoncé sa volonté de faire la guerre aux spéculateurs, promettant des mesures répressives «rigoureuses» contre les commerçants en infraction durant le Ramadhan. La célérité dans la délivrance des licences pour l'importation de viande rouge fraîche fait aussi partie de l'arsenal gouvernemental déployé dans cette optique. Face à ce branle-bas de combat, un marché dérégulé à force de permissivité de l'Etat et de l'avidité sans fond des barons de l'informel. Une spéculation à marche forcée qui n'a épargné aucun produit de large consommation faisant de l'ail un condiment de luxe. L'inflation des prix a également été encouragée par la passivité ou l'indigence de toute une chaîne de contrôle censée protéger le consommateur.

Cette intrusion dans le monde opaque des affairistes des produits agro-alimentaires trouve sa pleine mesure dans ces saisies opérées par les services de sécurité dans les chambres froides informelles, véritables coffres-forts de la mafia de la pomme de terre. L'exemple de récoltes laissées pourrir sur pied ou des cargaisons de sardine rejetées en mer ne sont que des cas illustratifs de cette volonté de faire mal et pousser les Algériens dans leurs derniers retranchements quitte à ce que la rue explose. Tebboune a raison, quelque part, lorsqu'il a assimilé les infractions liées au non-respect des prix des produits subventionnés à un détournement de deniers publics et celui illicite de ses aides. En effet, si le délit peut paraître «minime», ses conséquences peuvent être irréversibles pour un régime en mal de reconnaissance citoyenne.

Pourtant, sans des relais puissamment installés dans les administrations ou des parapluies politiques, ces spéculateurs ne peuvent pas survivre dans un Etat de droit, ce qui nous amène à nous interroger sur la nature de ces bulles spéculatives. Le secteur agro-alimentaire est, de l'avis unanime, une concentration vorace d'intermédiaires prêts à sacrifier un peuple et un pays pour des commissions en euros. Pour preuve, c'est l'un des secteurs qui a consommé le plus de ministres ces vingt dernières années, broyant les volontés de résistance et menaçant les plus intègres. De là à penser qu'une obligation faite aux bouchers d'afficher et le prix et l'origine des viandes fraîches importées pourra mettre fin à l'inflation des prix, c'est croire que le Père Noël est un clandestin subsaharien végétarien.