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TUER L'HONNEUR ET LA CIVILITE

par M. Abdou BENABBOU

Imaginons un instant qu'un percepteur frappe à la porte d'une résidence huppée pour exiger de son propriétaire l'historique dans le détail de son bien immobilier. Des étapes qui ont jalonné son acquisition à la couleur des coffres-forts ou celle des tirelires qui l'ont financé. Par les temps qui courent un tel scénario relèverait d'un mirage fou et s'il se produisait, l'Algérie pourrait se targuer de crier à tue-tête qu'elle a enfin accédé à la justice et au progrès. La sueur et l'effort auront une valeur et les justes normes seraient rétablies.

Mais dans ce rêve aujourd'hui totalement désaxé frisant une débilité de circonstance que les comportements et les règles en cours lui ont imposée, s'interposerait une question de fond. Quel profil doit avoir le percepteur pour se hisser au niveau de la carrure d'un véritable prophète et mener sa mission avec honneur et dignité ?

L'égalitarisme forcené en encombrant les esprits a enterré la culture du rationnel et de l'effort. La logique généralisée veut maintenant que des Algériens de plus en plus nombreux, plutôt que de trimer pour une humble demeure, soient à deux doigts d'exiger de la communauté et du ciel des villas avec piscines. Pourquoi le percepteur dérogerait-il à la règle et ne s'inscrirait-il pas dans cette logique ? Pourtant et cependant, ils sont pléthoriques les enfants de cette confrérie crainte et redoutée qui n'ont comme abri qu'une humble chaumière. Mais eux comme d'autres dockers de la monnaie et de la finance cultivent au fond d'eux-mêmes un étrange sentiment d'injustice évidemment déplacé, à trop craindre de tuer leur honneur et leur civilité.

Est-ce la fabuleuse générosité qui anime les Algériens qui annihilerait le bien-fondé de la propriété d'autrui et qui aurait aboli la distinction entre ce qui est acquis avec effort et celui que l'on croit être mis sans se fouler le doigt à disposition ? La réponse n'est pas aisée car elle repose sur plus d'un demi-siècle d'une gouvernance qui a fait du bien public un trésor privé.

En attendant que cette lourde équation soit réglée, le percepteur dans le rêve suspect rebroussera chemin sans frapper aux portes des résidences huppées.