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Le pétrole et le lobbying

par M.Saadoune

L'année se termine par un marché pétrolier déprimé et par des analyses très contradictoires sur la «rationalité» de la décision saoudienne de mener une guerre des prix au nom de la défense de ses parts de marché. L'écart entre les explications est abyssal. Pour les uns, les Saoudiens n'ont pas tort d'un point de vue purement économique de défendre les parts de marché de l'OPEP. Ils font remarquer que l'Arabie Saoudite n'est pas en train d'inonder le marché et qu'elle n'a pas augmenté sa production. Elle s'est contentée de ne pas la baisser. Mieux, ils font remarquer, à la suite du ministre saoudien du Pétrole, qu'une baisse de la production entraînera une hausse des prix qui profitera aux producteurs non-OPEP qui se chargeront de prendre la part abandonnée par l'OPEP.

Mais cette «rationalité» de la défense des parts de marché qui accepte allégrement l'idée d'un baril à 20 dollars paraît pour le moins «étrange» pour de nombreux analystes. Quel est l'intérêt «rationnel» de l'Arabie Saoudite d'avoir des prix bas alors qu'une soustraction d'une partie de la production (2,5 millions) permettait de les maintenir à un niveau respectable ? Il semble que le ministre saoudien du Pétrole, Ali Al-Nouaïmi, a de la peine à convaincre même en son pays de la pertinence de cette démarche. Curieusement, la thèse d'un complot ourdi contre la Russie, l'Iran et le Venezuela en vogue dans les médias occidentaux est en train d'être remplacée par le thème d'une «déclaration de guerre» à l'industrie du pétrole et gaz de schiste américaine.

Les Saoudiens sont-ils en train de faire la guerre aux Américains ? On a de la peine à y croire même quand on aime la politique-fiction. Il y a bien de l'inquiétude chez les pétroliers américains de voir le prix du baril s'installer durablement sous la barre des 60 dollars. Et ils ont les moyens de se défendre. Le plus remarquable est de découvrir que personne parmi les libéraux de ce monde ne croit vraiment que les «règles du marché» fonctionnent ou doivent fonctionner. Ni l'industrie pétrolière américaine ni les experts qui n'arrêtent jamais de le rabâcher aux «dirigistes». L'économiste Abdelhak Lamiri a estimé que le prix du baril remontera durant la seconde moitié de 2015. Les raisons «sérieuses» qu'il invoque ne sont pas économiques. Dans un entretien publié dans El Watan, il souligne que les puissantes sociétés pétrolières américaines vont exercer un «lobbying efficace» pour maintenir les prix au-dessus du seuil de 60 dollars.

On est bien devant une raison «politique» et non pas «économique». Même dans les salles des marchés, ces «antres de l'ultralibéralisme», on s'étonne de «l'étrange» attitude de l'Arabie Saoudite. Là, explique un connaisseur, l'un des scénarios évoqué - et qui confirme l'importance du lobbying dont parle Lamiri - est que cette grosse perturbation sur le baril pourrait prendre fin en janvier ou février par une «réunion d'urgence» de l'OPEP pour décider d'une baisse de la production. Et bien entendu, au vu de ses déclarations très déterminées, Al-Nouaïmi pourrait être «dégagé». Cela relève bien entendu de la «spéculation». Et le mot spéculation accompagne toujours le marché pétrolier. Si certains parient et spéculent contre Al-Nouaïmi, la plupart concèdent que ce qu'il a dit sur la fin du baril à 100 dollars reste pertinent.