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LA REVOLUTION OU LE CUL-DE-SAC RENTIER

par K. Selim

Beaucoup d'Algériens sont en état de sidération, entre affliction et indignation. Bien avant les récents aléas, ils n'ignoraient rien du caractère factice des institutions, de leur rôle de vitrine à usage externe, de l'inefficacité révoltante de l'administration, de l'énormité sidérale du gaspillage des ressources? Mais au fond d'eux-mêmes, parce qu'ils sont les héritiers d'un grand souffle révolutionnaire qui devait déboucher inéluctablement sur un Etat démocratique et social, ils conservaient l'espoir, ténu, qu'il demeurait une part vivante de cet héritage. Qu'une digue ultime se dressait contre la déraison, quelque part dans le no man's land du régime.

Ce qui les stupéfie plus qu'autre chose, c'est de constater qu'il n'en est rien. Même le présumé «Etat profond», qui fonctionnerait en «tuteur» ou en «rempart» silencieux, se révèle une pure vue de l'esprit. Les Algériens et les Algériennes subissent le pouvoir ou les pouvoirs mais ils sont orphelins d'un Etat. Ils ne disposent nullement et à aucun égard des institutions qui «survivent aux hommes». Ils nourrissent même de sérieux doutes quant à la capacité du pays à résister à tant d'impéritie. Qu'on ne s'y trompe pas, certains signes sont éloquents. Les railleries que des mauvais comiques d'ailleurs se permettent désormais sur l'Algérie ne suscitent plus de réactions offensées. Les citoyens subissent l'outrage, dans l'abattement et dans l'impuissance, même plus dans le dépit. Ebahis devant le constat que leur pays leur échappe et éberlués par l'insoutenable légèreté qui caractérise des décisions qui sous d'autres cieux sont les plus éminentes.

«Ils nous rendent fous» ! C'est ce que dit un homme de soixante ans qui se désole, tout compte fait, d'avoir choisi de rester au pays alors qu'il avait la possibilité de partir, il y a vingt ans. Ceux qui sont dans l'Olympe ne prennent pas la mesure de cette vague de désillusion amère et de désenchantement glacial. Ils ne mesurent pas l'état de démoralisation dans lequel plongent beaucoup d'Algériens, désormais convaincus qu'il «n'y a plus rien» pour paraphraser le poète. Et qu'il n'y a surtout pas d'avenir ! Ils sont nombreux à être immunisés contre le virus de la flagornerie et qui savent que sous le vocable de «stabilité» ressassé par les courtisans se profile une déstabilisation plus grave et plus grande. Une sorte d'affaissement moral propice à n'importe quelle aventure. Bien sûr, les services de sécurité veillent? Mais ce qu'on ne dira pas assez est que l'on est en train, pour des raisons incompréhensibles et au nom de la rente, de désarmer méthodiquement le sentiment patriotique. Et c'est bien cette dimension du reniement qui est la plus préjudiciable.

Il faut, pour ceux qui le peuvent encore, affirmer aux Algériens et aux Algériennes le refus que le désastre du pouvoir alimente la haine de soi. Ceux qui en gardent la capacité doivent confirmer aux Algériens et aux Algériennes qu'ils ne sont en rien responsables des actes des détenteurs du pouvoir. A l'évidence, les citoyens n'ont pas le régime qu'ils méritent, n'en déplaise à ceux qui veulent faire accroire l'idée que ce qui se passe est «normal», «légal» et «institutionnel». Les Algériens et les Algériennes vivent dans l'absence de l'Etat pour lequel des générations ont combattu et tant sacrifié. Cet Etat demeure intact dans notre histoire, dans l'ADN de ce qui fait notre vie en commun et dans le code source de notre appartenance la plus intime.

IL NE FAUDRAIT PAS QUE LA TRISTESSE DEVANT CE PRESENT LOURD DE DANGERS OCCULTE CETTE DIMENSION PREMIERE, FONDATRICE. LES HABITANTS DE CE PAYS NE SONT PAS LES ENFANTS DE CE REGIME, ILS SONT TRIBUTAIRES ET LEGATAIRES D'UNE GRANDE ET HAUTE REVOLUTION. IL NE FAUT PAS CESSER DE LE DIRE EN CES MOMENTS D'ACCABLEMENT. LES ALGERIENS ET LES ALGERIENNES SONT LES ENFANTS D'UNE HISTOIRE EN MOUVEMENT, CERTAINEMENT PAS LES OTAGES D'UN MISERABLE CUL-DE-SAC RENTIER. CELA DOIT ETRE DIT. ON NE NOUS ENLEVERA PAS NOTRE PATRIMOINE !