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AU-DELA DES LEÇONS DE MORALE

par M. Saadoune

Des leçons «morales» sont données aux dirigeants africains coupables, selon leurs détracteurs, de vouloir remettre en cause une Cour pénale internationale qui poursuit les criminels «politiques» et met fin à l'impunité. Il y a, c'est une évidence, parmi les détracteurs africains de la CPI, des dirigeants qui craignent effectivement de devoir rendre des comptes. Mais les moralistes - dont M. Kofi Annan qui s'est offert une belle prose pour défendre la CPI - omettent de dire que les critiques des Africains ne sont pas seulement le fait de dirigeants inquiets d'être poursuivis. Il y a trente-quatre Etats du continent qui ont adhéré au traité de Rome et cela montre clairement que dès le début il y avait un fort engagement africain pour la Cour pénale internationale. Et il ne fait pas de doute que la CPI constitue, en soi, un progrès contre toutes les formes d'absolutismes criminels.

L'Afrique et les Africains gagnent à ce qu'une institution rappelle aux puissants et à ceux qui détiennent le pouvoir qu'ils sont redevables de leurs actes. Il n'y a donc pas un refus de principe du rôle que peut jouer la CPI. La polémique actuelle sur le rôle de la CPI n'est pas réductible aux seuls reproches, en bonne partie fondés, qu'émettent les dirigeants de l'Union africaine. Il y a bien un vrai problème de la Cour pénale internationale dont l'Afrique est le révélateur : elle est incapable d'être à la hauteur de sa mission qui est de poursuivre «tous» les criminels de guerre sans distinction d'origine, de géographie ou? de puissance. Il n'y aurait pas eu de polémique entre l'Afrique et la CPI si cette dernière s'occupait effectivement de tous les criminels. Or, incapable de s'en prendre aux «puissants», elle se défausse «uniquement» sur les responsables africains dont certains ont effectivement des crimes sur les mains.

La Cour pénale internationale s'est trop «spécialisée» dans l'Afrique et c'est là le problème. Dire que le crime de guerre ou les crimes contre l'humanité sont exclusivement africains est un mensonge monumental. Or, c'est ce que suggèrent les poursuites exclusivement africaines de la CPI. M. Kofi Annan botte en touche quand il affirme que la CPI poursuit des individus et non le continent. Certes, ce sont bien des individus qui sont poursuivis et certains à bon droit. Mais ce sont «uniquement» des individus du continent africain. Et si les juges de la CPI ne s'occupent que de l'Afrique, ce n'est pas parce que le crime n'est qu'africain, mais parce qu'ils «ne peuvent» pas ou «n'osent» pas poursuivre des «individus» dans d'autres continents. La CPI ne s'intéresse pas, par exemple, aux crimes de masse découlant d'une guerre déclenchée sur un mensonge et contre le droit international par les individus Bush, Blair and co. On sait pourquoi ! C'est une question de «pouvoir», de «puissance».

Certes, il paraît irréaliste politiquement de croire que les dirigeants des grandes puissances puissent rendre des comptes. Mais dans l'absolu, la justice doit être la même pour tous. La CPI aurait gagné à faire des signes clairs qu'elle défend une vision universelle de la justice. Elle ne l'a pas fait jusqu'à présent prêtant ainsi le flanc à l'accusation d'être l'instrument d'une justice à double standard. D'une certaine manière, les Africains ne veulent pas limiter l'action de la CPI. Ils veulent que sa manière «offensive» d'agir en direction de l'Afrique s'applique aussi aux criminels des autres continents. Ils veulent qu'elle devienne une vraie Cour pénale internationale. Ils ne veulent pas qu'elle se réduise à n'être qu'une cour «africaine» par défaut, par impuissance ou par manque de courage.