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NO PASARAN

par M. Saadoune

Les autorités tunisiennes ont choisi d'être fermes face au discours violent et séditieux des salafistes d'Ansar Al-Charia.

Elles n'avaient en réalité pas d'autre choix. Devant le défi lancé à la loi par les dirigeants de cette organisation, un recul de l'Etat aurait de fâcheuses conséquences. Même si Ansar Al-Charia a fini par se «soumettre» à l'obligation de demander une autorisation légale pour tenir son rassemblement à Kairouan, la somme des provocations verbales d'une extrême violence dont se sont rendus coupables ses dirigeants ne pouvait être récompensée par une autorisation. Il y aurait eu très clairement une défaite de l'Etat face à une minorité dont les arguments sont aussi frustres que violents.

On peut bien entendu faire une lecture simple et n'y voir qu'une bataille opposant les deux grandes variantes de l'islamisme. Certains pourraient même s'en réjouir. Mais cet aspect est pourtant bien secondaire. Dans le bras de fer actuel, l'enjeu est avant tout celui de la préservation de l'Etat face à un courant minoritaire, non élu, qui cherche à le nier. Quand un dirigeant salafiste décrète que son rassemblement n'a pas à demander une autorisation du gouvernement car il a une «autorisation d'Allah», on est loin des subtilités entre islamistes. C'est l'idée même de l'Etat qui est niée. Rached Ghannouchi, chef du mouvement Ennahda, qui a durant longtemps, au nom de l'approche pédagogique, pris le parti du «dialogue» avec les salafistes l'a compris. Il a apporté un soutien sans équivoque à la fermeté du gouvernement et à sa décision de refuser la tenue du congrès d'Ansar Al-Charia.

Le droit de manifester doit être défendu avec force mais l'irrespect et le mépris ouvert de la loi ne doivent pas bénéficier d'une prime. A plus forte raison dans un pays où se joue une transition délicate d'un système autoritaire à un système ouvert gouverné par le droit. Une démocratie suppose un Etat fort qui ne transige pas sur le respect des lois. Le gouvernement tunisien dans lequel Ennahda occupe une place qui correspond au choix des électeurs a été régulièrement accusé de complaisance, voire de complicité avec des salafistes violents ; certains de ces salafistes ont, à plusieurs reprises, fait des descentes contre des manifestations culturelles montrant clairement le peu de cas qu'ils font de la loi et du droit des autres à s'exprimer. Ces comportements ont servi aussi d'alibi à des campagnes de presse contre la troïka de la part d'éléments du système Ben Ali mais également de «modernistes» qui détestent le suffrage universel. Mais il serait faux de n'y voir que cet aspect.

De nombreux Tunisiens, sans vouloir revenir au système humiliant et dégradant de Ben Ali, s'inquiétaient de la faiblesse de l'Etat. Les événements de ces derniers mois avec l'assassinat de Chokri Belaïd, l'apparition de maquis islamistes dans l'ouest du pays ne pouvaient que renforcer cette appréhension. La détermination exprimée par les autorités devrait les rassurer même si beaucoup s'inquiètent de ce qui peut arriver aujourd'hui dans le «bras de fer de Kairouan». L'Etat tunisien - et non pas Ennahda - vient de dire «No Pasaran». Les Tunisiens de toutes tendances, démocrates, modernistes et islamistes, n'en attendent pas moins de lui. Ils ne veulent pas d'une déconfiture de l'Etat qui ne peut être que le prélude à une décomposition du pays.