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La fin d'un consensus silencieux

par M. Saadoune

La crise malienne, les manipulations des (et de) djihadistes, l'intervention militaire française et, bien entendu, la grande prise d'otages d'In Amenas font partie d'un contexte qui suscite une inquiétude réelle au sein de l'opinion algérienne. Elle est allée en s'amplifiant ces derniers mois où instinctivement beaucoup pressentaient que ce qui se passe au Sahel et au Mali risquait de nous affecter. Désormais, on sait que cela ne relevait pas de la pure imagination.

Ces derniers jours avec la gestion difficile de la prise d'otages, on a beaucoup parlé - et à juste titre - de la faiblesse de la communication algérienne. On en a beaucoup parlé parce que des médias étrangers se sont étonnés de cette «non-communication». En réalité, ce sont les Algériens qui en souffrent le plus et sont réduits, le plus souvent, à supputer ce que les dirigeants sont en train de faire. L'affaire malienne et les positionnements confus de la diplomatie algérienne - tout ce qui n'est pas clairement lisible en termes de communication politique est contre-productif - ont dérouté ceux qui essayaient de comprendre. Il n'est pas dans la «tradition» des officiels algériens d'expliquer ce qu'ils font et de définir des objectifs précis à leur politique. A plus forte raison quand il s'agit de politique étrangère.

Quand cela porte sur des questions «lointaines», cela ne semble pas porter à conséquence. A tort, car les positionnements sur ces questions définissent l'Algérie. L'attitude fuyante et défensive de notre diplomatie sur la crise libyenne a été un peu plus mal comprise. Mais quand un ministre français des Affaires étrangères annonce aux Algériens que leur pays a donné une autorisation de survol sans limite à ses avions militaires en opération sur le Mali, cela donne un étrange ébahissement national. Que l'Algérie soit «ménagée» - quel euphémisme ! -, «soutenue» ou «critiquée» à l'étranger après le dénouement dur et difficile de la prise d'otages d'In Amenas n'est pas sans importance. Mais est-ce plus important que d'éclairer les Algériens sur la politique du pays ? C'est devenu d'autant plus nécessaire que désormais les feux allumés au Mali nous touchent directement.

Par mimétisme, certains ont tendance à parler du «domaine réservé» de la politique étrangère. Ce qu'on oublie de préciser est que cette expression - très française - relève davantage de la définition du domaine des prérogatives du président au sein du gouvernement, elle ne signifie pas absence d'explication et de reddition de comptes. Or, le «domaine réservé» à l'algérienne n'est pas seulement une délimitation fonctionnelle des prérogatives. Il est structurellement inhérent au système autoritaire qui veut que ceux qui sont en charge de la responsabilité ne sont pas tenus d'expliquer aux Algériens ce qu'ils font. Ils ne sont pas tenus par des obligations de résultats ; quand des «comptes» sont demandés, cela se passe en «interne», de manière opaque. Il y a eu ces derniers jours des prises de positions de partis qui, pour la première fois depuis longtemps, évoquent des questions de politique étrangère de manière critique. Cela signifie que cette politique est devenue suffisamment confuse pour qu'un consensus silencieux puisse continuer à la couvrir. Le régime en a trop abusé. Il faut ouvrir le débat quitte à polémiquer durement.