Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

LE CAIRE VAUT BIEN UNE MESSE

par Kader Hannachi

Il y a des visites dont il ne faut pas louper le sens et celle qu'effectue dans notre pays le Premier ministre égyptien en fait partie. Certes, l'agenda de M. Hichem Kandil est essentiellement économique. D'après ce que l'on sait, ses discussions avec Abdelmalek Sellal devraient porter sur une demande de prêt de 2 milliards de dollars pour l'Egypte et un assouplissement en faveur des exportateurs de ce pays des restrictions que leur a imposées l'Algérie dans le cadre de la Grande zone de libre-échange arabe (GZALE). Elles devraient concerner aussi l'épineux dossier «Djezzy» et les moyens de renforcer des échanges davantage favorables à l'économie égyptienne - d'une diversité et d'une vitalité plus prononcées - qu'à la nôtre qui peine à dépasser le milliard de dollars en commerce extérieur.

Mais, aussi importantes, ces questions ne sont pas les seules à être examinées. Il y a entre Alger et Le Caire d'autres points qu'on a tendance à négliger parce que les parties concernées n'en parlent pas beaucoup ou pas du tout mais qui gagneraient à être rappelés. Certains sont publics : ils sont en rapport avec la coopération universitaire et l'envoi pour la formation en théologie et sciences islamiques à Al-Azhar, référence absolue pour les sunnites et rassurante pour leurs Etats en ces temps où les fatwas sont devenues une industrie aussi incontrôlable que dangereuse. Ils ont une relation aussi avec les questions de sécurité et la gestion technique de la prolifération inquiétante d'armes en Libye depuis la chute de Kadhafi et leur dissémination dans les pays frontaliers et le désert sahélien.

D'autres sont à deviner : ils portent toujours sur la Libye mais plus encore sur les acteurs notamment arabes qui ont choisi de faire de ce pays un terrain d'influence, voire de puissance à l'image de l'imprévisible et inquiétant Qatar. L'interventionnisme de cet Etat férocement autoritaire chez lui et démocrate chez les autres pose d'autant plus de problèmes qu'il est devenu un grand sponsor des tendances salafistes les plus radicales et les plus violentes - jusqu'à concurrencer son puissant voisin saoudien. Il est, par ailleurs, et de manière équivoque, aligné sur des logiques de puissances internationales aux enjeux pas toujours clairs pour ne pas dire menaçants pour la sécurité et la stabilité au Moyen-Orient et au Maghreb. Son intervention sur le sol africain via la Libye et peut-être demain au Sahel où il est déjà soupçonné de financer des groupes terroristes au Mali impose donc à l'Algérie un autre positionnement - d'ailleurs en cours - de sa politique étrangère à l'égard de pays pivots comme l'Egypte qui même avec un gouvernement issu des Frères musulmans n'entend pas perdre du terrain sur les plans géopolitique et géostratégique et partage avec notre pays les mêmes inquiétudes.

Ce positionnement autre repose sur l'intérêt pour notre pays à ce que l'Egypte continue entre autres d'être ce pôle de stabilité crédible, par ailleurs, aux yeux des Etats-Unis et des pays occidentaux et à s'en rapprocher pour qu'au moins le vide de puissance régionale visible depuis des années sur les lignes de conjonction entre le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord et l'Afrique sahélienne ne s'aggrave pas et profite au Qatar : un pays dont le soutien sélectif aux « printemps arabes» - en Libye, en Syrie mais pas à Bahreïn - indique bien que Le Caire vaut bien une messe ou un prêt en milliards de dollars.