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LE «14 SEPTEMBRE» DES ISLAMISTES D'A COTE

par M.Saadoune

Il y a encore deux semaines, Rached Ghannouchi, patron du mouvement Ennahdha au pouvoir en Tunisie, parlait de manière presque affectueuse des salafistes, «nos enfants» qui n'ont pas «débarqué de la planète Mars». Le ton vient de changer. Désormais, il estampille les «salafistes djihadistes» comme une menace pour son mouvement et pour les libertés publiques en général. Le leader islamiste, estampillé «modéré» par les Américains, promet une fermeté sans faille contre les salafistes qui font usage de la violence. «A chaque fois que des partis ou des groupes outrepassent d'une façon flagrante la liberté, il faut être ferme, serrer la vis et insister sur l'ordre».

Les islamistes tunisiens au pouvoir, qui font partie de l'Internationale des Frères musulmans, ont mis du temps à regarder la réalité. Il leur a fallu en apparence leur «14 septembre» avec l'attaque furieuse contre l'ambassade US et la destruction par le feu d'une école américaine pour déciller. Ce raidissement contre des groupes aussi minoritaires qu'hyperactifs et intolérants est-il sérieux ? Les responsables d'Ennahdha, qui ont la responsabilité du gouvernement et donc de maintien de l'ordre et de faire appliquer la loi, ont eu une attitude équivoque à l'égard des actes violents et délictueux commis par ces groupes. Face aux accusations d'ambiguïté et de complicité, ils ont répondu en général par la mise en cause d'un autre extrémisme «laïc» ou «éradicateur» qui, même s'il existe, ne peut servir d'argument sérieux.

Quand on a la responsabilité de l'Etat dans une transition observée avec vigilance aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur, il ne faut pas prêter le flanc aux accusations de couvrir des agissements liberticides. Le mouvement Ennahdha a semblé croire qu'il pouvait «gérer» ces groupes et les insérer dans le processus politique alors que manifestement ils sont dans la vision bornée, antipolitique et anti-libertés, du wahhabisme saoudien. Rached Ghannouchi connaît pourtant bien le sujet. Il avait été un des premiers à s'effrayer, il y a plus de vingt ans, du maximalisme contre-productif des islamistes algériens. Pas plus qu'il ne pouvait oublier que la plongée dans la violence en Algérie dans les années 90 a grandement servi le régime autoritaire de Ben Ali. Comment expliquer dès lors l'attitude timorée qui a prévalu durant les derniers mois vis-à-vis de ces groupes véhiculant une image inquiétante d'une Tunisie dont l'économie dépend en bonne partie du tourisme ? Faut-il y voir une impréparation à prendre en charge le pays ? C'est une explication possible. D'autres y voient plus sûrement une volonté délibérée de laisser se développer un abcès de fixation idéologique permettant de créer un écran de fumée sur l'incapacité à répondre aux attentes sociales fortes de nombreux Tunisiens.

Il serait faux de nier que ces réponses ne sont pas aisées et que les marges d'action du gouvernement sont limitées. Mais la responsabilité commande d'en débattre franchement au lieu de faire diversion en laissant se développer les actions de groupes turbulents. La seule «gestion» à faire dans ces cas-là, c'est d'appliquer la loi et de ne pas tolérer les atteintes aux libertés des autres. Ghannouchi vient d'en convenir. Mieux vaut tard que jamais, mais fallait-il l'attaque contre l'ambassade américaine et les critiques de Mme Clinton contre la «tyrannie des foules» pour en convenir ?