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UN CAFE CONTRE UN ENCART !

par K. Selim

Les journalistes du Monde se rebiffent contre un supplément de 16 pages «spécial Algérie» réalisé par une agence de publicité. Ils reprochent à leur direction de ne pas avoir veillé suffisamment à mettre en exergue le caractère de publireportage, qui n'engage guère le journal, du supplément incriminé. Personne n'est surpris de cette réaction de rédacteurs qui considèrent que le seul capital sérieux du journal est son image et son indépendance. «Il ne faut pas laisser nos moyens de vivre compromettre nos raisons de vivre», la société des rédacteurs du Monde a tenu à rappeler la citation de son illustre fondateur Hubert Beuve-Méry.

Les journalistes estiment que l'appel en page «Une» du journal ne mentionne pas le «caractère publicitaire et commercial de cette opération» et que ce supplément «nuit gravement à la crédibilité du journal et au travail des rédacteurs du Monde». Les journalistes du quotidien parisien ont pris les devants pour se démarquer et défendre l'image de leur journal. Ils y réussiront probablement. Quid de l'Algérie ? Beaucoup de professionnels de la presse sont consternés par cette affaire qui aboutit à l'effet contraire de celui recherché. L'Algérie aura payé, sans doute au prix fort, pour ce qui se transforme - il suffit d'aller sur le net pour le constater - en contre-publicité. Tout ce qui figure dans ce supplément - même quand cela est vrai - se trouve ainsi décrédibilisé et clairement catalogué comme simple propagande.

D'un point de vue purement commercial, les entreprises algériennes qui ont acheté des pages dans le supplément et ont donc financé l'opération, seraient fondées à réclamer le remboursement. L'agence de publicité qui leur «offrait» le Monde ne leur livre au final qu'un petit scandale de presse. C'est décidément très cher payé. Mais ce qui mortifie, le mot n'est pas trop fort, les professionnels algériens est de constater, à travers cette affaire, que ceux qui se sont chargés de l'opération ont fait montre d'une méconnaissance radicale des techniques de communication. On savait dès les lointaines années 70 que ce genre de «réclame » n'a qu'impact très marginal sur la manière dont se construit l'image d'un pays. Certains hebdomadaires «africanistes» se sont spécialisés dans cet exercice de publireportage pour engranger des revenus tout en se gaussant de la naïveté des commanditaires. Continuer en 2012 à mener des opérations datables au carbone 14 est tout simplement affligeant. Cela signifie que nous n'avons rien appris, ni compris l'évolution des modes de communication. On croit, très bureaucratiquement, qu'un budget doit être consommé, sans se soucier de l'efficacité de la dépense.

Coïncidence quelque peu urticante, ce supplément contreproductif paraît au moment où de la Banque d'Algérie au ministre des Finances en passant par celui de l'Energie, on multiplie les discours d'alerte sur la nécessité de freiner les dépenses publiques. Et qui suggèrent, implicitement, aux Algériens de contraindre leurs attentes. Certes, il ne faut pas se leurrer, tous les gouvernements communiquent, mais dans les règles de l'art, avec professionnalisme. Il n'était pas nécessaire de sortir de la meilleure école de marketing pour savoir qu'un publireportage, même inséré dans le Monde ou ailleurs, n'apporte strictement rien. L'image d'un pays, qui se façonne de manière continue par de multiples canaux spécialisés, peut être l'objet d'une promotion ciblée ou d'une campagne conjoncturelle. Au premier chef, bien évidement, par la nature et la qualité de l'action d'un gouvernement.

Il aurait été moins coûteux et autrement plus pertinent que le président de la République reçoive des journalistes algériens pour leur parler de l'Algérie réformée qu'il souhaite et des moyens d'y parvenir. Gageons que le Monde et tous les autres journaux influents dans le monde auraient été très intéressés de reprendre ce que les journaux algériens auraient rapporté de cette rencontre inédite. Cela aura coûté peut-être quelques tasses de café et autant d'assiettes de gâteaux secs et personne n'aurait glosé sur une dépense aussi somptuaire qu'inutile !