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Terra incognita

par K. Selim



La décision du MSP de ne pas participer au gouvernement était la seule posture possible pour un parti dont les ambitions ont été freinées après le dernier scrutin législatif. Ce parti, qui s'est inscrit dans un processus de «participation» de pure forme au pouvoir depuis les années 90 et a contribué à la «grande bataille» du système contre les signataires du Contrat national, est le dernier à pouvoir invoquer l'argument de la fraude. Que cette fraude soit réelle ou pas, cela ne change rien du fait que le MSP était «dedans». Et cela suffit pour rendre très visible aux militants du MSP, qui voulaient aller résolument vers l'opposition et qu'on a fait taire au nom du «réalisme», de la «wassatiya», l'inanité de la démarche de la direction politique. Le fait que cette même équipe soit toujours aux commandes est une anomalie politique, le crédit de ceux qui ont défendu une stratégie de participation, pour le moins illusoire, étant lourdement entamé.

Pour autant, les tenants du système, tentés de se satisfaire d'une «victoire» du FLN sur fond d'évaporation massive de l'électorat, ont-ils raison de pavoiser ? L'échec électoral de «leurs» islamistes participationnistes, ceux qui sont officiellement des «modérés», « respectueux des règles de la République », ne signifie pas que le courant islamiste a soudainement été réduit, voire qu'il ne représente plus qu'une tendance minoritaire. Quand on est confronté à une masse aussi importante d'abstentionnistes, une telle conclusion paraît pour le moins insolite.

En l'absence de sondages ? et aussi de la possibilité de poser ouvertement la question ?, on peut de manière réaliste présumer qu'une bonne partie des absents est constituée d'électeurs islamistes. Le fait que ni le MSP ni Djaballah ne les aient convaincus de voter ne constitue pas l'indicateur probant d'un «recul islamiste». L'explication la plus évidente - même si elle est embarrassante - est que l'offre politique islamiste autorisée par le système n'est pas convaincante. Jusqu'à présent, on campe sur l'affirmation sans cesse présentée comme une vérité première que l'islamisme radical, qui a été incarné par le FIS, serait fortement discrédité.

En réalité, le vrai mystère politique algérien tient au fait que l'on ne dispose pas des capacités de vérifier cette assertion. Il s'agit tout au plus d'impressions ou de sensations et il suffit d'en discuter pour découvrir qu'elles sont contradictoires et peu étayées. L'ampleur de l'abstention au cours du dernier scrutin ne peut que nourrir la circonspection à l'égard de ceux qui décrètent la fin de l'islamisme. Ce n'est pas le cas, de toute évidence. Pendant deux décennies de verrouillage, le système a tenu à maintenir une offre islamiste agréée, dans sa version molle du MSP, comme dans une version théologico-rigide incarnée par Djaballah. Mais cette «offre» pouvait-elle séduire alors qu'il est manifeste pour tous que la scène politique est une fiction et que ses acteurs n'agissent que dans la marge étroite fixée par le pouvoir «réel» ?

Quelles conclusions peut-on tirer d'un scrutin caractérisé par une très forte abstention à l'issue de vingt années d'encadrement autoritaire de la scène politique ? L'impossible identification des courants politiques, qui ne se limitent pas aux seuls islamistes, est la conséquence naturelle d'une vie politique réduite à sa plus simple expression bureaucratique. Il n'est donc pas surprenant que la réalité politique de la société algérienne reste terra incognita, un continent énigmatique.