Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

TERRITOIRE SANS MAITRE

par M. Saadoune

Ceux qui escomptaient une solution dans la recette concoctée par les dirigeants de l'Afrique de l'Ouest pour remettre un peu d'ordre à Bamako peuvent constater qu'il n'en est rien. Les putschistes qui ont accéléré par leur action la débandade de l'armée malienne au Nord tombé entre les mains des rebelles et des groupes armés islamistes, continuent de vouloir faire la pluie et le beau temps à Bamako. Ils ont accepté du bout des lèvres un retour à l'ordre constitutionnel, ils font tout dans les faits pour l'entraver. Il faut donc cesser de parler «d'ex-putschistes». Ce sont toujours des putschistes malgré l'amnistie qui leur a été accordée en vertu des accords signés avec la Cédéao.

A force de faire semblant de remettre le pouvoir tout en le gardant - et en arrêtant les hommes politiques qui leur déplaisent, ces putschistes sont en train de susciter des envies de «contre-putsch». C'est que le niveau politique de ces putschistes n'a rien de reluisant et on ne voit toujours pas de «vision» particulière de l'avenir du Mali. La seule chose qu'ils ont réussie est qu'ils ont perdu le nord du pays en lançant un putsch censé préserver l'intégrité territoriale. Sans surprise, ces putschistes qui veulent garder la main ont refusé l'envoi de forces de la Cédéao destinées à «sécuriser la transition». On ne sait pas vraiment qui incite ces militaires maliens au niveau politique primaire à continuer à jouer les fauteurs de troubles, mais il est loisible de constater que le Mali s'enfonce dans l'instabilité. Et c'est sans doute le but recherché dans un contexte sahélien rendu encore plus délicat par l'évolution de la situation au nord du Mali.

La rébellion targuie «classique» incarnée par le MNLA est désormais doublée par une rébellion targuie islamiste ayant des liens avec des organisations classées au niveau mondial comme des mouvements terroristes. Le nord du Mali, et par extension l'ensemble du Sahel, est perçu - et surtout présenté - comme une duplication de la zone tribale pakistano-afghane. Le terrain était déjà assez ouvert aux jeux de services. L'ingérence étrangère peut trouver désormais un «argument» dans la crainte de l'émergence d'une sorte d'Etat Aqmi sur le modèle des talibans d'Afghanistan. Il est clair que plus le désordre politique - et sécuritaire - règne à Bamako et plus ce parallèle avec les zones tribales pakistanaises s'incruste. Sans un retour à une stabilité politique à Bamako, il n'est guère possible d'envisager des démarches de négociations inclusives en direction de Touareg avec pour objectif, primordial, de les séparer des mouvements islamistes armés. Et de fait, l'instabilité malienne empêche d'entamer les démarches pour aller dans le sens d'un règlement politique.

Certains acteurs du nord du Mali, ceux qui sont chez eux comme les intrus, profitent du désordre de Bamako qui ne permet même pas de penser à des solutions possibles. D'autres, comme le MNLA, qui seraient tentés de chercher à s'attirer une reconnaissance internationale en s'engageant militairement contre les djihadistes, choisissent une position attentiste. L'Algérie qui est aux avant-postes peut-elle face à la transformation du Nord-Mali en «territoire sans maître» - pour ne pas dire en terra Aqmi - s'accrocher au principe de non-ingérence ou de non-intervention ? Il faut espérer que d'autres options sont pensées et envisagées? Ce qui est arrivé en Libye hier, ce qui advient au Mali aujourd'hui ne peuvent être considérés comme des affaires purement extérieures. Il s'agit, qu'on le veuille ou non, de nos affaires.