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L'ARMEE, LES ISLAMISTES ET LA «DEMANDE D'ORDRE»

par M. Saadoune

On ne doit jamais sous-estimer la «demande d'ordre» qui accompagne les révolutions où les conclusions tardent? et créent un sentiment d'insécurité. En Egypte, face à une armée, incarnation par excellence du régime et donc fortement affaiblie par la chute de Moubarak, les islamistes et notamment les Frères musulmans ont raflé la mise lors des élections législatives. Il y avait bien dans ce vote l'expression d'une tendance lourde au sein de la société égyptienne. Mais elle a été fortement amplifiée par la fatigue des Egyptiens devant une instabilité révolutionnaire qui aggrave leurs difficultés quotidiennes. Et pour beaucoup de ces Egyptiens pauvres, rétablir un peu «d'ordre» est une question de survie.

Dans cette première manche du passage de la «révolution» aux «institutions», les islamistes, perçus comme ceux qui sont les plus à même de rétablir l'«ordre» et d'apporter un peu de justice, l'ont largement emporté sur la tumultueuse Place Tahrir. La deuxième étape de la stabilisation, celle de l'élection présidentielle qui doit se tenir les 23-24 mai prochain, risque de ne pas se dérouler comme la première. Les Frères musulmans ont créé la surprise en présentant, contrairement à un engagement initial, la candidature de leur numéro deux, le multimillionnaire Khairat Al-Chater. Ils font désormais face à une «offre d'ordre» qui vient des hommes de l'ancien régime. La plus en vue étant celle d'Omar Souleimane, ancien chef des services de renseignement et éphémère vice-président en février 2011 (c'est lui qui a annoncé la démission du «raïs»), qui a subitement décidé de répondre à «l'appel populaire» après des manifestations dont l'orchestration est évidente.

L'armée égyptienne a beau dire qu'elle «n'a pas de candidat», personne n'est dupe. Un autre ancien général et Premier ministre durant les derniers jours du règne de Moubarak, Ahmed Chafic, est également en lice. Les Frères musulmans, dont le jeu manœuvrier apparaît clairement avec leur abandon de l'engagement de ne pas présenter de candidat, ont accusé Omar Souleimane de vouloir «voler la révolution». On se trouve dans une bataille rude avec «offre politique» entre deux ordres, celui de l'ancien régime avec l'armée comme ossature et le «nouveau» dominé par les Frères musulmans. Chacun fourbit ses armes et use de manœuvres. Les Frères musulmans (et les salafistes) ont essuyé un revers à la suite de la décision d'un tribunal de suspendre la commission chargée de rédiger la nouvelle Constitution égyptienne. Ils ont cependant contre-attaqué en engageant hier, au Parlement, la discussion d'un projet de loi interdisant aux «symboles» du régime Moubarak d'occuper des fonctions dirigeantes et notamment la présidence. La commission juridique a proposé d'exclure tous ceux qui ont exercé des fonctions de dirigeants dans le parti de Moubarak et à la présidence durant les dix dernières années du règne du raïs.

Cette tentative de créer un barrage légal à la candidature du général Souleimane ne sera pas aisée. Une telle loi, si elle est adoptée, doit être promulguée par le Conseil militaire qui exerce de fait les pouvoirs de la présidence. C'est tout simplement un bras de fer qui s'annonce. D'autant qu'en vertu d'une loi de l'ancien régime toujours en vigueur, le candidat des Frères musulmans pourrait être disqualifié car il avait été condamné par un tribunal militaire ! Cette loi stipule que les personnes condamnées ne recouvrent leurs droits politiques que six ans après leur sortie de prison ! Le match entre l'armée et les FM va devenir de plus en plus âpre au cours des prochains jours !