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MELANGE DES GENRES

par K. Selim

Le ministre des Affaires religieuses a instruit les imams d'inciter les fidèles à aller voter pour les élections législatives du 10 mai prochain. Il a développé l'argument que cela fait partie du devoir de l'imam de promouvoir «la citoyenneté».

 L'instruction des Affaires religieuses est très controversée. Elle suscite des attitudes contrastées chez des imams et des commentaires ironiques ou indignés chez une partie des fidèles. Les imams, qui ont essuyé dans le passé le label moqueur et insultant «d'imams CCP», se retrouvent dans une situation où ils risquent de perdre leur crédit en se mêlant outrageusement d'une question politique naturellement sujette à polémiques. La participation aux élections législatives a beau être présentée par le pouvoir politique comme étant d'un «intérêt suprême» pour la nation, cela ne représente qu'une opinion parmi d'autres. Qui peut être qualifiée, sans être péjoratif, de posture «partisane». Et on peut trouver aujourd'hui des milieux qui développent un argumentaire totalement contraire pour suggérer que l'intérêt supérieur de la nation est de ne pas se rendre aux urnes. C'est tout autant une attitude partisane.

 Quel peut être le rôle de la mosquée, et donc de l'imam, face à une thématique aussi débattue ? La réponse la plus évidente est de s'abstenir de transformer un sujet de débat politique en thème religieux, en thème de la mosquée. M. Ghlamallah a laissé entendre que le rôle qu'il fait jouer aux imams et aux mosquées n'a rien à voir avec la pratique du FIS. La mosquée «doit aujourd'hui servir la nation et réformer la société».

 Il suffit pourtant de revenir aux journaux de l'époque pour constater que c'est strictement le même discours qui était développé par les imams-militants du FIS. Il n'est pas nécessaire d'élaborer une savante exégèse religieuse pour savoir qu'une mosquée s'intéresse forcément aux affaires des gens, à leurs vies et à leurs relations. Elle a donc un rôle «politique», mais au sens le plus élevé, celui des valeurs spirituelles. Il n'est pas non plus besoin d'être un expert éclairé des affaires religieuses pour savoir qu'une mosquée ne peut, sous peine de provoquer une fitna, aller au-delà d'un consensus réel sur ce qui fonde l'intérêt commun de la société. La question de la participation aux élections se situerait-elle dans ce cas de figure ? La réponse est évidemment négative.

 Il suffit de tendre l'oreille aux propos des Algériens pour conclure que la participation ou non aux élections ne fait pas partie du «consensus», de «l'ijmaa». Et que par conséquent, la décision relève du libre arbitre individuel : choisir d'aller voter ou non est un acte personnel. La mosquée, qui ne saurait être une source de division mais de rassemblement, doit, en toute logique, s'abstenir de se prononcer sur un sujet sur lequel un consensus évident n'existe pas.

 Il est clair que le ministre des Affaires religieuses fait de la politique. Il peut ? et il le fait ? appeler les gens à aller voter. Mais les imams n'ont pas à le suivre. Pas plus que les enseignants à l'université ou dans des lycées n'auraient à suivre des instructions de la même veine de la part des ministres en charge de leurs secteurs. C'est un mélange des genres que notre histoire récente commande d'éviter.