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DEUX TRANSITIONS ET UN ENSEIGNEMENT

par K. Selim

Fin d'année dans une relative sérénité politique en Tunisie, mais avec de réelles appréhensions sur la situation économique et sociale. La crise en Europe, dont l'économie tunisienne est fortement dépendante, aggrave ces appréhensions. Mais en raison d'une alliance politique de fait assez large, les Tunisiens peuvent espérer poursuivre en 2012 une transition politique historique finalement assez bien entamée. La répartition des pouvoirs entre les trois partis arrivés en tête permet une avancée consensuelle. Les islamistes tunisiens, ceux d'Ennahdha pour être précis, ont trop bien étudié l'histoire du FIS pour ne pas en tirer quelques leçons d'humilité. L'objectif immédiat de la «troïka» au pouvoir sera, outre la rédaction de la Constitution, de parvenir à calmer un front social qui fait du «rattrapage», après des décennies de traitements policiers, des conflits sociaux.

Le discours alarmiste du patronat à l'égard des effets néfastes de la multiplication des grèves et des occupations de locaux sur les investissements locaux et étrangers est désormais pris en charge par un pouvoir issu des urnes. Et qui se donne pour mission de «stabiliser» le pays afin de redonner confiance aux investisseurs étrangers dont l'économie tunisienne ne peut se passer. Mais à comparer avec l'évolution chaotique et erratique de la situation en Egypte, celle de la Tunisie paraît bien tranquille.

L'Egypte a le «désavantage» d'être trop «lourde» du point de vue de la géopolitique pour que la transition puisse se dérouler à la manière pondérée des Tunisiens. L'armée égyptienne, très présente dans l'économie et qui est insérée dans le dispositif américain de maintien du statu quo au Moyen-Orient, gère la transition en tâtonnant. Son but est clair pour tout le monde : éviter que le processus de changement qui a fait tomber le clan Moubarak n'aille trop loin. Non seulement pour un ordre interne où plus de la moitié de la population vit la grande pauvreté, mais surtout pour une situation régionale où le rôle de l'Egypte a été «fixé» par les accords de Camp David. Il a suffi que les Frères musulmans fassent savoir qu'ils ne remettront pas en cause ces accords pour que les bases d'une alliance de fait entre les militaires et eux soit créée. Les islamistes confortent cette alliance en renonçant «sagement» à présenter un candidat à la présidentielle, alors que leur succès aux législatives montre clairement qu'ils ont largement la possibilité de l'emporter. Ils deviennent de facto des «faiseurs de président» et les candidats potentiels vont devoir compter avec eux.

Les FM égyptiens, avec des nuances importantes, agissent dans ce domaine comme ce qui était prévu en Algérie par la Ligue de la daâwa islamique de feu Ahmed Sahnoun : être un groupe de pression qui pèse sur les politiques. La démarche, on s'en souvient, avait été cassée par l'empressement de Abassi Madani à lancer le FIS.

Mais si les FM égyptiens dominent déjà le Parlement et décideront s'ils le veulent du nom du président, cela n'est pas le fruit du hasard. Leur poids électoral confère à l'alliance de pouvoir qu'ils tissent avec les militaires une certaine légitimité. Et cela inquiète, à juste titre, les élites «éclairées» laïques, des libéraux à la gauche. L'échec de cette dernière en Egypte, et dans une moindre mesure en Tunisie, n'a rien de surprenant. En Egypte surtout, mais partout, en Tunisie comme en Algérie, le champ populaire a été déserté par ces forces qui se veulent proches des humbles. C'est sans doute l'enseignement le plus significatif des transitions en cours.