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UNE VIE APRES LE 17 SEPTEMBRE

par K. Selim

Passons aux choses sérieuses».Dans l'histoire, vraie, de la télévision d'Etat, un présentateur du journal télévisé, après avoir donné toute l'information protocolaire et dans l'ordre hiérarchique des activités de la nomenklatura, a eu l'audace de lancer cette phrase comme transition vers la rubrique sportive. Ce présentateur s'était platement excusé pour une formule involontaire, surgie d'un inconscient éloquent. C'était sûrement une manière spontanée, irréfléchie, très peu correcte à l'époque ? et elle le reste encore aujourd'hui ? de signifier que l'on passait de l'immobilité bégayante, du formalisme plat et sans âme, vers le mouvement, vers le Mouloudia, le CRB, le MCO ou l'ESS.

 On a envie de le répéter, mais en toute conscience : on a échappé au complot du 17 septembre ? Allah en soit loué ; à présent, passons aux choses sérieuses. Surtout qu'on prenne garde de ne pas ajouter ce 17 septembre aux nombreuses dates qui peuplent le calendrier chargé de la fierté nationale. C'était, semble-t-il, sur le Net que ce complot a été ourdi et il a été, semble-t-il, déjoué sur le Net par une réaction remarquablement cyberpatriotique. C'est bien ! Mais passons. Il faut dire d'ailleurs que septembre est déjà occupé. Le 19 septembre 1988, Chadli Bendjedid avait prononcé son fameux discours où il clamait, entre autres fulminations, que «ceux qui ne peuvent suivre doivent choisir : se démettre ou bien ils seront écartés».

 Tout le monde avait compris que rien n'allait plus dans le système. Et même si on a réussi à nous passer de Chadli et de bien d'autres après lui, on sait de manière indubitable, en ce jour d'après le 17 et en cette veille de 19 septembre, que rien ne va dans le système. Il faut donc passer aux choses sérieuses. Et parler du changement nécessaire.

 Théoriquement, ceux qui détiennent les leviers de commande doivent avoir compris que les Algériens sont patients et leur donnent une opportunité historique d'aller vers ce changement dans le calme mais avec sérieux. Agiter les peurs, réelles, d'un remake des années noires pour justifier l'immobilisme est une attitude myope. Comme le démontre Bachar Al-Assad, aujourd'hui enfermé dans une logique invalide et encerclé par ses propres errements. Il n'a plus de marges de manœuvre. Le président syrien en disposait pourtant il y a huit mois, bénéficiant même d'une sorte de consensus national sur les orientations de politique extérieure. L'héritier du trône républicain de Damas a rapidement dilapidé ce capital. Al-Assad ne parvient pas à admettre que la demande de changement qui traverse le monde arabe ne relève pas de la théorie du complot. Que des intérêts extérieurs cherchent à tirer profit de cette situation est une évidence, c'est ainsi que l'histoire des relations internationales s'écrit. Les crises internes non gérées ou mal gérées dégénèrent, créant naturellement les conditions qui favorisent les appétits extérieurs.

 Ce que la vague de contestation dans le monde arabe enseigne est que l'intérêt national, supérieur ou suprême, pour reprendre les qualificatifs patriotiques en vigueur, n'est pas protégé par les autoritarismes. On peut, bien sûr, gloser jusqu'à l'extinction de voix sur les «visées» des étrangers ? qui pourrait nier leur réalité ? ? mais il faudra bien que l'on se mette à évoquer les raisons qui poussent dans ces pays une partie des élites et des populations à penser que le pire est bien dans les régimes en place et non dans les ingérences étrangères.

 Il faudra bien réfléchir et évaluer cet état de fait, sans basculer dans les procès en trahison et le «complotisme» systématique. Rien ne prédestinait des Libyens à voir dans l'Otan une armada de libérateurs. Mais qui peut nier que l'aveuglement d'un «leader» qui pensait incarner le passé, le présent et l'avenir de la Libye y a considérablement contribué ? Oui, le 17 septembre est passé, on a déjoué le «grand complot» virtuel. Remercions encore le sort.

 Et passons donc au thème bien plus sérieux de la transition d'un régime toujours immobile et toujours aussi inefficace 23 ans après le discours du 19 septembre 1988. Sans incantation ni paranoïa, avec des grilles de lectures rationnelles. Nous passerons, enfin, aux choses sérieuses.