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HIKMA TUNISIENNE

par K. Selim

La Commission tunisienne de réforme, présidée par le juriste Yadh Ben        Achour, a adopté un « Pacte de Réforme » qui stipule que la Tunisie est un pays démocratique, que sa langue est l'arabe et sa religion l'islam. Le pacte réaffirme les grands principes de séparation entre le religieux et le politique, ainsi que celle des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Le texte prône également la préservation des acquis de la femme.

 Le Pacte de Réforme, qui proscrit «toute forme de normalisation avec l'Etat sioniste» et soutient la cause palestinienne, devrait servir de base à la nouvelle constitution tunisienne. Les Tunisiens, qui vont élire le 23 octobre prochain une Assemblée constituante et qui s'expriment volontiers et avec passion, estiment en général que ce document reflète des principes qui forment une base consensuelle acceptable pour l'ensemble des forces politiques.

 Un économiste algérien, de retour d'un séjour de vacances-solidarité en Tunisie, relève que l'ambiance est beaucoup plus sereine que ce que l'on pourrait attendre d'un pays qui vit des circonstances politiques extraordinaires. Il a constaté également que l'appréhension de certains intellectuels tunisiens au sujet d'une éventuelle hégémonie électorale du mouvement islamiste n'était pas partagée par nombre de citoyens « ordinaires ». A l'image d'une commerçante en hidjab d'une petite ville du Sud-Ouest tunisien, proclamant à haute voix que les Tunisiens n'étaient pas dupes du faux débat dans lequel certaines forces voudraient les enfermer.

 L'opposition laïcité/islamisme n'est pas la contradiction principale d'une société qui aspire à un réel changement de système et à l'amélioration de ses conditions économiques.

 Le constat établi par nombre de Tunisiens est que six mois après le départ de l'ancien despote et l'élimination politique de son premier cercle, l'appareil politico-sécuritaire (et économique) du pouvoir reste globalement intact. C'est à ces milieux que sont attribuées, stratégie de la tension oblige, les provocations des extrémistes « laïcistes » et celles des salafistes de Hizb Et-Tahrir. « Nous ne nous sommes pas débarrassés d'une dictature mafieuse pour verser dans une dictature religieuse » est une déclaration souvent entendue par notre économiste en visite.

 Avec la consolidation des libertés, la situation économique est la priorité d'un pays où le chômage, des jeunes en particulier, est particulièrement mal ressenti. En dehors des centres urbains du littoral tunisien, le phénomène « hittiste » est très visible. Ces jeunes, pour la plupart très convenablement formés, sont impatients mais réalistes. Ils savent que leur situation ne changera pas du jour au lendemain, ni par le miracle d'une quelconque idéologie. Les Tunisiens connaissent l'expérience tragique du voisin algérien et suivent de près l'actualité de notre pays.

 Ainsi, la visite de Jean-François Copé, SG du parti de droite français UMP, est commentée, à la surprise du visiteur algérien qui l'ignorait. Dans un café du centre-ville, des jeunes s'étonnent de la visite à Alger de quelqu'un qui fait de la surenchère à l'extrême-droite sur le thème de la stigmatisation « des Arabes et des musulmans français ». « Il vient vous apporter sa contribution sur l'identité nationale et sur l'Islam et la République », a confié en souriant un jeune Tunisien à notre économiste.

 Un homme, plus mûr, met en garde contre la transposition des obsessions françaises entretenues dans les débats publics, dans nos pays. « Leurs obsessions ne sont pas les nôtres? Nous avons à mener nos propres débats, ceux qui concernent nos sociétés. Nous n'avons pas à prendre les ordres de penser de la rive nord ». Sagesse tunisienne?