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COMPRENDRE ET DESOBEIR

par M. Saadoune

«Achaque fois que j'écris sur la Libye, je suis envahi par la déprime?». Abdel Bari Atwan, rédacteur en chef du quotidien d'Al-Quds Al-Arabi, peu suspect de complaisance à l'égard du dictateur dérangé de Tripoli, exprime un sentiment largement répandu parmi ceux, dans le monde arabe, qui ne sont pas décervelés par le matraquage d'Al-Jazira et des médias occidentaux.

 Pour ces porte-voix de la propagande belliciste, ne pas approuver la guerre menée par l'Otan, c'est forcément soutenir le dictateur libyen ou être payé en sous-main par lui. C'est aussi simple que cela. Ainsi, pour éviter d'être accusé d'être le supplétif journalistique d'un dictateur et de sa descendance qui ont transformé la Libye en une ferme familiale, il faut se faire attaché de presse de l'Otan «libérateur». Il ne doit y avoir aucune place chez les journalistes arabes pour les questionnements ou la mise en perspective.

 La critique de la guerre libyenne n'est permise que pour les médias de l'axe du «bien» et ceux qui en sont les auteurs ne sont pas accusés d'être à la solde de Kadhafi. Les reproches les moins acerbes consistent à présenter comme «ringards» ceux qui considèrent que la nature du conflit en Libye a changé avec l'intervention de l'Otan, qui est le résultat, rappelons-le, de la honteuse démission des Etats arabes.

 Tenir compte des évidentes arrière-pensées, éviter les schématisations, dire par exemple que les Occidentaux et l'Otan ne sont pas des chantres de l'humanisme mais défendent des intérêts, cela ferait effectivement très désuet... Ce n'est pas dans l'esprit du temps où tout est, n'est-ce pas ?, d'une confondante simplicité.

 Il fallait être avec Bush ou contre lui. C'était simple. A présent, il faut être du côté d'Al-Jazira, de l'Otan et de Benghazi, sinon on appartient au camp des oppresseurs. Elémentaire, n'est-ce pas ? Ralliez-vous à notre bannière, sinon?

 Il faut donc, pour être fréquentable et agréé par les centres médiatiques du néoconservatisme qui fixent ce que l'on doit penser, abolir toute capacité autonome de réflexion, taire ses doutes et applaudir au joli film de la liberté pour les Libyens qui ne cesse d'être scénarisé. Ce n'est pas l'heure de penser, il faut obtempérer. Tout est simple et clair. Les bons sont connus et les méchants aussi. Des «philosophes» très médiatiques - qui n'ont jamais perçu l'humanité des Palestiniens sous les bombes israéliennes ? nous l'expliquent et il ne sert rien à essayer de déchiffrer les enjeux de la guerre humanitaire. Approuvez l'ingérence ou taisez-vous !

 Il faut être occidental pour émettre quelque doute ou poser les questions qui dérangent. Quand on est arabe, et même si on n'a pas le moindre atome crochu avec les régimes, on doit applaudir pour éviter d'être catalogué comme agent de l'épouvantail Kadhafi.

 Quoi que l'on puisse penser de ce dictateur, rien n'oblige pourtant à être dupe de manœuvres qui visent clairement à arrimer les révolutions arabes dans le camp occidental, à casser une dynamique dangereuse pour Israël et ses alliés et à installer une présence militaire dans la région. Ces considérations ne sont pas permises aux analystes arabes indépendants. Ils doivent choisir leur camp.

 Décidément pour les Arabes, aujourd'hui plus que jamais, chercher à comprendre, c'est commencer à désobéir.