Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le seul bon deal

par K. Selim

Hosni Moubarak et ses fils placés en détention ! Il y a encore quelques semaines, cela relevait de la pure fiction, de ces événements qui peuvent être rêvés par des romanciers mais qui n'arrivent jamais dans la réalité. Il était en effet impensable que cet homme, reçu avec tous les égards dans les grandes capitales occidentales, ce pilier de l'ordre établi au Moyen-Orient, puisse connaître une telle indignité.

Mais le vieux dicton romain s'avère encore une fois juste: la Roche Tarpéienne est proche du Capitole. Les militaires égyptiens qui tiennent actuellement le pays ont dû céder devant la pression de citoyens qui ne veulent pas que le changement pour lequel ils ont consenti tant de sacrifices soit détourné et vidé de sens. La mise en accusation de Hosni Moubarak n'est pas à leurs yeux un simple symbole. Mais un repère pour le futur, pour ceux qui seraient tentés de rétablir l'ordre autocratique «familial» et ploutocratique qui a prévalu pendant plus de trois décennies.

Bien entendu, Moubarak n'est pas encore condamné formellement, mais cette accusation est lourde de significations. Une contestation plus combative que jamais est passée par là et les militaires ont dû céder à cette pression révolutionnaire. C'est une page qui est en train de s'écrire en Egypte et donc on ne peut encore préjuger du contenu.

Mais on peut tirer déjà des enseignements de cette fin pour le moins humiliante pour le raïs et sa progéniture. Le premier est que la «légitimité» que peut conférer l'étranger, aussi puissant soit-il, à un pouvoir autoritaire pour des raisons géopolitique, économique ou autre n'est pas éternelle. Du point de vue géostratégique, Ben Ali pouvait tomber - seuls les Français ne s'en rendaient pas compte - sans grand problème, mais pas Hosni Moubarak.

C'est ce qui explique que les Américains ont sans cesse couru derrière le mouvement révolutionnaire égyptien pour trouver une sortie «honorable» à leur ami. Mais ils ont fini par le lâcher. Conclusion : les «amis» étrangers cessent d'être des amis au moment décisif, celui de la chute.

Le second enseignement - on l'a vu en Egypte et on le voit dans d'autres pays - est qu'une réforme qui arrive trop tard n'est plus acceptable. Elle est inutile et ne sert qu'à confirmer aux contestataires comme aux alliés que le régime est aux abois et qu'il manœuvre désespérément pour sa survie.

Pourtant, avant le cataclysme sociopolitique, les régimes disposent de la faculté d'impulser les transformations attendues par la société. L'intelligence politique consiste à accepter l'idée du changement et à organiser les mécanismes de sa mise en œuvre pacifique. Les présidences à vie et les gouvernements perpétuels sont des tentatives aberrantes de bloquer la marche normale des pays.

Le troisième enseignement doit être tiré par les hommes de pouvoir. Aucun deal, explicite ou implicite, conclu avec les puissances étrangères qui prétendent constituer la «communauté internationale», ne vaut un deal transparent et démocratique avec leurs sociétés. Celui d'une gouvernance qui ne s'impose pas à vie et qui admet qu'elle a des comptes à rendre. C'est ce contrat, nécessairement un new deal dans nos sociétés, qui peut préserver les dirigeants de la déchéance des Ben Ali et des Moubarak.