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AUTOCRATIE ET PERTE DE SOUVERAINETE

par K. Selim

Que veulent les Occidentaux en Libye ? Amr Moussa, secrétaire général de la Ligue arabe, présent à la réunion de la guerre de l'Elysée, se pose déjà la question. «Ce qui s'est passé en Libye diffère du but qui est d'imposer une zone d'exclusion aérienne. Et ce que nous voulons, c'est la protection des civils et pas le bombardement d'autres civils».

 Amr Moussa se sent, une fois de plus, le naïf de service dans un jeu occidental bien élaboré. M. Moussa n'a pas bien lu, à l'évidence, la résolution 1973 du Conseil de sécurité qui donne la couverture légale à l'intervention militaire. Bien sûr, elle dispose qu'il ne doit pas y avoir une présence militaire au sol, mais elle autorise tous les moyens pour obtenir le cessez-le-feu et défendre les civils. Cela est suffisamment souple pour des interprétations élastiques.

 Les opinions publiques en Arabistan ne se font guère d'illusion sur les visées prédatrices des Occidentaux. L'invasion «civilisée» et néanmoins sanglante et destructrice de l'Irak est trop proche pour ne pas oublier. Dans les élites du monde arabe, les débats sont vifs. Il y a ceux qui se refusent à défendre Kadhafi et ne lui accordent aucune circonstance atténuante. Pour eux, Kadhafi a tout fait pour que l'on arrive à cette situation. Il a créé chez une partie de son peuple, qui n'est pas moins patriote que lui, une disponibilité à jouer la partie avec les Occidentaux. Avec la conviction, peut-être illusoire, qu'il sera plus facile de se débarrasser de ses amis de circonstance que de ce «père» qui jure que tous les Libyens sont prêts à mourir pour lui.

 En face de ceux qui considèrent que Kadhafi assume la totalité de la responsabilité, il y a ceux qui, à juste titre, n'accordent pas une once de sincérité aux émois des Occidentaux. Ils sont d'ailleurs servis par les faits. Le Bahreïn, qui est une grande base militaire américaine, réprime la majorité de son peuple et importe des forces de répression d'Arabie Saoudite et des Emirats pour les mater. Personne n'a eu l'idée de saisir le Conseil de sécurité alors que les Bahreïnis ont le même droit à la liberté que les Libyens. Le constat est juste.

 Mais doit-on continuellement apprécier les évènements dans notre aire à l'aune de l'usage, forcément intéressé, qu'en font les Occidentaux ? L'oppression subie par les Bahreïnis et admise par les «amis» américains ne doit pas justifier celle que subissent les Libyens.

 Ce que montre l'évolution de la situation en Libye est qu'une autocratie est devenue, derrière un discours révolutionnaire creux, une menace grave pour la souveraineté du pays et pour son unité. Même s'il ne faut pas taire les visées occidentales, il ne faut pas non plus occulter la responsabilité de ceux qui dirigent la Libye. Sans le système Kadhafi, dont le caractère brutal et humiliant pour les Libyens n'a rien d'une propagande, il n'y aurait pas eu de prétexte pour une intrusion militaire occidentale. En réalité, les Occidentaux connaissent si bien leur «ami» Kadhafi qu'ils n'ont fait qu'attendre pour qu'il le leur apporte.

 Le second aspect de cette affaire est qu'il faut bien admettre que si les Etats voisins s'abstiennent de choisir quand un régime se met à punir sa population, d'autres le feront à leur place. La notion de non-ingérence doit être dépoussiérée.

 Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui n'a que mépris à l'égard de Kadhafi, pose le problème de manière très juste : «Le fait que la majorité des dirigeants arabes et musulmans n'aient pas assumé leurs responsabilités ouvre la voie à une intervention occidentale en Libye. Nous ne savons pas sur quoi cela va déboucher. Cela ouvre la voie à une ingérence étrangère dans chaque pays arabe, nous ramenant à l'époque des occupations, des colonisations et des partitions».