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DEUX OU TROIS CHOSES SUR NOUS-MEMES

par K. Selim

Les Algériens qui ont manifesté à la place du 1er Mai à Alger, pour en être à nouveau empêchés par les forces de l'ordre, ne sont pas des extraterrestres. Ils sont chez eux. Ils défendent le droit de manifester qui est reconnu dans les lois et qui est interdit pour des raisons spécieuses dans la capitale. Mais aussi ailleurs.

 Il faut aussi réaffirmer avec le plus de force possible que les Algériens, tous les Algériens sont chez eux à Alger. Ceux qui, derrière les rideaux, instrumentalisent des gamins excités et violents sur le mode «défendons notre quartier contre les intrus», jouent la plus odieuse des parties, celle de la haine et de la division. De quel droit peuvent-ils se prévaloir pour affirmer que la place du 1er Mai est la propriété exclusive des riverains du quartier ?

 Cette logique de privatisation de l'espace public et de l'Etat est mortelle pour la nation. Les Algériens sont les enfants d'une grande révolution et il n'est pas normal que l'espace national leur soit interdit au nom d'un quartier, d'un club ou d'un parti.

 Cette régression dans le mesquin et la détestation du voisin proche est inquiétante. Les Algériens sont divers, ils n'ont pas les mêmes idées sur la manière de résoudre les problèmes et c'est tant mieux ! Cela fait leur richesse. Mais que l'on tente de transformer ces divergences en expressions haineuses en transformant des petits «houmistes» décérébrés en perturbateurs menaçants contre les manifestants est une honte. Aucune attitude «compréhensive» à leur égard n'est justement compréhensible.

 On a frôlé hier les dérapages violents car, parmi ces jeunes excités, certains se contentaient de renvoyer à coup de slogans racistes les gens vers leurs régions d'origine présumées. Les moyens policiers conséquents qui étaient mobilisés n'avaient pas besoin de l'appoint de perturbateurs à la mode houligane pour empêcher la manifestation.

 On ne comprendra jamais pourquoi on s'évertue à créer et ajouter, inutilement, de nouvelles fractures à celles qui sont déjà enfouies dans les traumatismes interdits de verbalisation au nom de la loi et de la réconciliation.

 Mais il ne faut pas uniquement focaliser sur ces provocateurs locaux qui n'honorent pas le nom illustre que porte leur quartier. Loin de ces agités, des Algériens se constituaient en petits groupes et échangeaient, avec vigueur parfois mais sans violence, sur les raisons qui faisaient que les uns étaient pour la marche et les autres contre.

 Caractéristique commune de ces protagonistes de petits débats improvisés : tous des quadras et plus. Tous ont vécu de manière intime la tragédie des années 90 qui ne passe pas et qui est là, omniprésente dans les esprits. Marcher ? Mais avec qui et pour quoi faire ? Les questions élémentaires fusent. Le passé violent est trop récent pour être mis entre parenthèses.

 Le regain d'intérêt citoyen pour la politique ne pourra pas se passer d'un inventaire des divergences de fond qui ont marqué la scène politique durant les années 90. Il est clair que le pouvoir ne lancera pas ce débat puisqu'il considère que la vérité a été faite et l'a même codifiée dans une loi. Mais ceux qui sont dans l'opposition et prétendent vouloir le changement ne pourront pas s'en passer s'ils veulent remobiliser la société.

 Il est tout à fait compréhensible que des citoyens n'oublient pas et veulent savoir, à l'aune de la terrible expérience passée, quel sens précis donner à la démocratie et aux libertés que l'on revendique.