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LA SAINTE ALLIANCE

par K. Selim

Les Egyptiens le savent, ils n'ont aucun Etat pour les soutenir dans leur tentative de faire tomber le régime et de passer à un autre niveau de développement politique. S'ils étaient des Iraniens, on les aurait chouchoutés, dorlotés? On aurait vu une Hillary Clinton enthousiaste et un Obama à la hauteur de l'image qu'il s'est fabriquée. Mais voilà, les Egyptiens ne sont pas des Iraniens.

 De Tel-Aviv à Washington en passant par Ryadh, la démocratie et la citoyenneté qu'ils réclament embarrassent. Le mot est diplomatique. En réalité, elles sont totalement indésirables. Des Egyptiens qui disent librement ce qu'ils pensent et qui décident souverainement de ce qu'est leur intérêt national, cela est trop dangereux. Too much ! Les circonlocutions verbeuses de Mme Hillary Clinton n'y changent rien.

 Les Egyptiens ? et d'autres peuples sous gouvernement autocratique ? ont chaque jour la preuve que les Américains en particulier et les Occidentaux en général entravent la démocratie. La rébellion civique en cours en Egypte se fait contre le régime mais aussi contre une sainte alliance de l'empire américain et des régimes. C'est avec l'appui des Américains que Moubarak organise son départ, inévitable, tout en préservant le régime. Barack Obama aura beau discourir sur la démocratie, les quelques jours de l'assaut donné par les Egyptiens au régime qui les étouffe l'ont remis à sa vraie place. Celle d'un chef d'empire qui ne se soucie ni de démocratie ni de droits de l'homme et qui veut préserver, coûte que coûte, un régime vassal.

 Certes, il ne pouvait en être autrement mais on peut remercier les Egyptiens d'avoir définitivement mis à bas le marketing d'Obama et des Etats-Unis. Les Egyptiens ont bougé et ils se rendent compte que leur combat pour la démocratie ne se heurte pas seulement à la terrible résistance du régime. Ils peuvent désormais paraphraser sans hésitation Karl Marx : un spectre hante le monde occidental, la démocratie dans le monde arabe.

 Toutes les puissances, des Etats-Unis à la vieille Europe en passant par les monarchies et les «républiques» arabes et Israël, sont unies en une Sainte Alliance pour traquer ce spectre. Que la Tunisie se démocratise en renvoyant un «rempart» contre l'islamisme était déjà ennuyeux, mais que les Egyptiens se mettent à vouloir se donner les moyens de désigner leur propre gouvernement, voilà qui est à proprement parler intolérable !

 Nos «amis» américains n'aiment vraiment pas qu'Israël perde le statut de «seule démocratie» dans la région? Ce statut qui lui permet, à chaque élection et au nom du suffrage universel, de revenir sur le peu d'engagements pris par le gouvernement précédent. Pas question donc de laisser les Egyptiens se mettre à décider, par exemple de revoir le statut d'Etat à souveraineté limitée imposé par Camp David. On ne les menace pas seulement de les priver des aides financières? Les réactions, sans gloire, de Washington et des autres capitales sont le reflet du monde réel.

 Il n'est pas fortuit qu'Al-Baradei, l'Egyptien le mieux apprécié en Occident, critique aussi ouvertement les Américains. L'opposition égyptienne a choisi d'ailleurs de faire preuve d'un certain « réalisme » en l'instituant négociateur avec le pouvoir. Une grande bataille est livrée actuellement en Egypte entre le nouveau qui cherche à naître et le vieux qui n'en finit pas de mourir. L'issue immédiate est incertaine. Mais les Egyptiens ont déjà fait un grand pas et aucune Sainte Alliance ne les ramènera à un ordre infantilisant. Ils sont en marche?