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CRISE DE GOUVERNANCE

par K. Selim

Dans le chapelet d'affaires qui secouent la classe politique au pouvoir en France, celle aux implications les plus graves, le scandale Bettencourt-Woerth, met aujourd'hui en cause directement le sommet de l'Etat français. Les révélations se succèdent à un rythme quotidien et forment une sorte de feuilleton à rebondissements qui tient l'opinion en haleine.

 Le dernier épisode, en attendant des développements inéluctables, repose sur les graves affirmations d'une ex-comptable de la milliardaire des produits de maquillage. L'ancienne employée a déclaré sur procès-verbal que l'actuel ministre du Travail, Eric Woerth, avait reçu en tant que trésorier de l'UMP la somme de 150.000 euros en liquide pour financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy au printemps 2007. Selon cette ex-comptable, le président de la République en exercice, lorsqu'il était candidat aux présidentielles, figurait parmi les visiteurs réguliers de l'hôtel particulier des Bettencourt et aurait compté parmi les récipiendaires de substantielles aides en espèces destinées à soutenir les campagnes électorales de la droite.

 Aucune preuve matérielle ne vient pour l'instant étayer ces déclarations mais elles contribuent à empoisonner davantage un climat politique où, avant même ces dernières révélations, plus de 60% des Français estimaient que leur classe politique était corrompue.

 Le renvoi précipité de deux secrétaires d'Etat, accusés d'avoir tiré quelques avantages matériels de leur position, est loin d'avoir mis un terme aux soupçons qui pèsent sur les hommes de pouvoir. Ces évictions sous le sceau de l'urgence n'ont pas eu d'effet sur l'opinion et les médias ; elles trahissent un vrai désarroi au plus haut niveau de l'exécutif français.

 Une des premières conséquences pratiques de cette atmosphère de scandale est l'immobilisme d'une partie importante de la haute fonction publique qui hésite à s'engager derrière des ministres à l'avenir incertain. Mais là n'est pas l'effet le plus important. De fait, si la droite au pouvoir est incriminée au premier chef, l'opposition de gauche n'est pas épargnée par le discrédit qui touche l'ensemble d'une classe politique qui a le plus grand mal à se renouveler.

 Les observateurs soulignent que dans ce contexte, c'est l'extrême droite qui risque de tirer les marrons du feu et de se retrouver en position d'arbitre. Les électeurs constatent - le nombre croissant d'abstentionnistes à chaque élection l'indique - que le système politique bégaye et que l'alternative entre droite « républicaine » et gauche « de gouvernement » semble avoir épuisé ses ressources.

 Les mœurs du pouvoir sont voisines et l'aura de scandale n'épargne aucune des deux principales formations politiques qui recrutent leurs dirigeants dans les mêmes sphères. La modération dont fait preuve la gauche dans ses attaques contre la majorité embourbée dans des « affaires » témoigne d'un malaise certain.

 Dans le développement de cette crise, la presse et la magistrature jouent un rôle central. Le fonctionnement remarquable de ces institutions est le meilleur révélateur du dynamisme démocratique français. La crise qui affecte les plus hautes institutions de l'Etat n'est pas le résultat de scandales financiers ou de malversations à grande échelle. C'est bien le comportement des élites qui est en cause. Le problème que doivent résoudre les politiques français réside dans la nécessité très vivement ressentie du gouvernement exemplaire. Politique autant que déontologique, la crise de gouvernance que traverse la France est un signe de maturité démocratique.