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LA LIGUE DU BAVARDAGE

par K. Selim

S'il existait un oscar ou une palme d'or du bavardage mondain, la Ligue arabe serait l'un des candidats les plus sérieux à la récompense suprême. Les belles phrases dans une langue éloquente sont une tradition glorieusement installée dans cette institution créée, certains l'oublient, par l'Intelligence Service de Sa Gracieuse Majesté britannique. L'emphase vide de sens est la marque de fabrique de cette maison des courants d'air.

 Pour ne pas déroger aux usages, cette ligue de l'impuissance vient d'annoncer, à l'issue d'une réunion au Caire, aussi interminable que stérile, que ses membres, unis dans un élan unanime, étaient décidés à mettre fin «par tous les moyens » au blocus de Ghaza. La déclaration, dans une langue éblouissante, n'a ému personne.

 Les observateurs politiques de tous bords sont partagés entre indifférence ennuyée et franc sourire devant la logomachie usée d'une organisation qui a érigé la pantalonnade en ligne politique. Il a fallu plusieurs jours à ce conclave pour produire une déclaration étrange, où la verbosité est présentée comme l'expression achevée de la solidarité envers le peuple palestinien.

 Les militants humanitaires du monde entier et la démocratie turque ont plus fait en quelques jours que cette Ligue depuis sa création dans un corridor de l'administration anglaise. Un responsable de la résistance palestinienne, interrogé par un journaliste sur les résultats de la réunion cairote, avait répondu avec une ironie mordante: «Parlons de choses sérieuses, voulez-vous?».

 Les dirigeants arabes de l'axe du bien, les «modérés », dominent outrageusement cette instance. Ils sont servilement alignés sur Washington et il n'est pas utile, effectivement, de perdre du temps à ergoter sur leurs options, parfaitement prévisibles. L'opinion arabe, efficacement muselée, comprend bien que ses dirigeants, appuyés par des gardes prétoriennes, n'aient que l'Occident comme repère. Après tout, ce sont des capitales civilisées que les potentats moyen-orientaux tirent leur légitimité et leur protection internationale.

 Mais ce degré d'avilissement a malgré tout quelque chose d'exceptionnel. Il y a peu d'exemples dans l'Histoire où les intérêts des gouvernants ont à ce point oblitéré les aspirations des peuples qu'ils dirigent. Même les rois des indignes taïfas andalouses n'avaient fait aussi peu cas du sort et des aspirations de leurs sujets. A ce stade, le reniement est plus que complet, il peut prétendre au statut d'œuvre d'art.

 L'histoire retiendra, malgré toutes les dénégations des «réalistes» de la capitulation, les noms de ceux qui, à ce moment crucial de la lutte de libération du peuple palestinien, ont tourné le dos à l'honneur pour livrer leurs frères à leurs pires ennemis.

 Pendant que Joe Biden, vice-président des USA, dont on ne peut nier le sens de la reconnaissance financière électorale, défend sans fard des criminels en justifiant l'injustifiable, les rois arabes, prosternés devant le veau d'or américain, en appellent à la mansuétude d'un Empire qui ne cache même plus sa satisfaction méprisante.

 L'opinion en est témoin : la dignité et l'honneur de la position de la Turquie démocratique et des militants occidentaux qui étaient dans la flottille de la liberté sont à une distance sidérale des discours arabes, qui veulent faire passer l'ouverture précaire et révocable du passage de Rafah pour un acte politique d'une témérité rare.